Le Cercle  Les Echos - le 06/12/2010 

synthèse :

Avec Bâle III, la réglementation bancaire qui était d’inspiration purement microéconomique prend enfin en compte la dimension macroéconomique. Mais autant le provisionnement des risques ex ante est bienvenu, autant son dispositif contracyclique imposant des fonds propres additionnels en cas d’emballement dans un pays ne paraît pas des plus souhaitables.

Il est regrettable de demander au prudentiel d’utiliser un outil bien moins pertinent et moins efficace que les réserves obligatoires qui, à côté des taux d’intérêt, sont l’autre arme dont dispose les banques centrales pour conduire leur politique monétaire. Les Chinois ont montré, eux, qu’ils l’avaient bien compris.


Parmi les causes de la crise financière de 2007/2008  les analyses, y compris par les autorités bancaires et financières, ont signalé l’importance du rôle joué par Bâle II, le dispositif prudentiel de banques. La raison ? La nature micro-prudentielle des ratios qu’il demande de respecter. En effet dans ses exigences, Bâle II ne tenait pas compte des effets globaux des comportements individuels des banques. Celles-ci, tout en respectant individuellement la réglementation, pouvaient donc prendre toujours plus de risque en les cédant sur les marchés… jusqu’à provoquer la crise systémique que l’on sait.

De plus, sans parler du rôle majeur dans la crise des valorisations « valeur de marché » d’un volume croissant de créances et de dettes, Bâle 2 comportait, sans aucun correctif, des éléments de réglementation qui pouvaient amplifier le caractère cyclique des économies.

Les recommandations du Comité de Bâle du 12 septembre, appelées Bâle III, ne sont pas retombées dans ce travers. A côté d’ajustements de nature micro-prudentielle (essentiellement le resserrement de la notion de fonds propres, une meilleure prise en compte des risque de marché et la mise en place progressive de ratios de liquidité), le Comité de Bâle a voulu traiter les aspects macro-prudentiels, sans lesquels aucun acteur ne peut être vraiment en sécurité. A ce titre, il a institué deux dispositifs réglementaires.

Le premier, appelé « volant de conservation », demande aux banques de constituer des provisions ex ante pendant le temps « des vaches grasses » pour être mieux à même de passer le temps des « vaches maigres », et ce à hauteur de 2,5 % des fonds propres des établissements. Le second, appelé « volant contracyclique », prévoit la possibilité pour un pays d’imposer à son système bancaire des fonds propres additionnels - de 0 % à 2,5% des risques pondérés - lorsqu’il juge excessive la croissance globale des crédits sur son territoire.

Le provisionnement contracyclique relève des banques centrales et de la politique monétaire

Autant le provisionnement ex ante est bienvenu, et était d’ailleurs préconisé depuis longtemps (cf. le  Conseil National du Crédit en 1995 dans un rapport sur « le risque de crédit ») et pratiqué par les autorités espagnoles, autant le provisionnement contracyclique ne nous paraît pas devoir relever de la réglementation prudentielle mais des banques centrales et de la politique monétaire.

En effet, il y a confusion des genres. Le contrôle prudentiel est un soubassement structurel stable qui ne doit pas être modifié en fonction des conjonctures économiques car il faut du temps pour mettre en place de nouvelles exigences et une fois posées elles peuvent durer plus que nécessaire. Cette inertie vient du fait que les ratios prudentiels portent essentiellement sur les fonds propres qui sont d’une manipulation difficile. De plus ils jouent sur la géographie du capital et sur les capitalisations boursières. Avec ce nouveau dispositif, le prudentiel devient en charge de toute la régulation financière à la politique des taux d’intérêt près !

C’est ignorer le rôle des banques centrales dont la deuxième mission, à côté de la lutte contre l’inflation est d’assurer la robustesse du système bancaire. A coté des taux, les banques centrales disposent d’un outil parfaitement approprié pour piloter plus finement les conditions de financement au vu des données macro-économiques. Il s’agit des réserves obligatoires non rémunérées dont le(s) seuil(s) de déclenchement et la progressivité sont rendus publics. Avant même qu’ils ne jouent ils peuvent inciter les acteurs à plus de modération.

Leur mise en œuvre permet de freiner, voire de casser, spontanément ou sous la contrainte financière, un emballement général des crédits ou d’une catégorie importante d’entre eux. Elles peuvent également être mobilisées contre toute augmentation excessive des positions spéculatives sur les marchés prises directement par les banques ou permises par l’accroissement des financements qu’elles accordent à d’autres d’institutions financières moins ou pas régulées.

Alors que le ratio contracyclique touchera de façon indifférenciée tous les établissements, y compris les plus vertueux, les réserves obligatoires permettent de ne cibler que ceux qui sont à la source des dérapages et ce avec, si souhaité, une forte progressivité des taux autrement plus contraignante qu’un ratio de fonds propres « flat » allant de 0 à 2,5 %. D’ailleurs ces 2,5%, au maximum, n’empêcheront pas la poursuite des dérapages par ceux qui y trouveront toujours leur compte. Il leur suffira de procéder à une augmentation de capital ou, même mieux, de traiter cette exigence locale comme quantité  négligeable… Ce qui sera facile pour une très grande banque dont l’activité du pays considéré ne représente que quelques pour cents de son activité mondiale et beaucoup moins pour une banque aux engagements relevant essentiellement du pays considéré. En outre, le suivi en sera très difficile en Europe avec une surveillance prudentielle assurée par les pays d’origine et non par le pays d’accueil concerné.   

Les réserves obligatoires permettent des frappes chirurgicales très efficaces car très ciblées. C’est tout le contraire avec le « volant contracyclique » qui touchera tout le monde sans être réellement dissuasif. Il est regrettable de demander au prudentiel de mener, avec un outil nettement moins performant, une action qui revient aux banques centrales.

Ce recours aux règles de fonds propres ne serait-il pas qu’un pis-aller traduisant l’échec des réflexions des banques centrales sur l'adaptation des politiques monétaire aux cycles financiers ?



Cet article a servi de base à un article de Diogène paru sur Slate.fr, le 20/12/2010, sous le titre "Vive les réserves obligatoires"
http://www.slate.fr/story/30027/banques-reserves-obligatoires-bale

en savoir plus sur Diogène :
http://www.slate.fr/source/diogene

Note :