Introduction du livre de Jean-Pierre Chevènement " La France est-elle finie ?" (Fayard)

Le Cercle Les Echos -

La France qui, il y a un demi-siècle, nourrissait encore des rêves de grandeur avec le général de Gaulle, ou même, il y a trois décennies, l’ambition de « changer la vie » avec François Mitterrand, apparaît aujourd’hui comme un pays sans avenir, désespérant pour sa jeunesse. L’essentiel se passe ailleurs. La France serait-elle sortie de l’Histoire sans s’en apercevoir ?

mon commentaire :


"L’énigme historique à résoudre"

 

« Comment la gauche française a-t-elle pu passer du « programme commun » au libéralisme, ou, si l’on préfère, au social-libéralisme, …Comment tant d’hommes, dont je ne puis suspecter l’honnêteté, ont-ils pu opérer pareille conversion ? Par quel sortilège ? Cette énigme doit être résolue. »

C’est une des questions que pose Jean-Pierre Chevènement dans son livre« La France est-elle finie ? »

J’essayerai d’y apporter trois réponses de nature financière, sans doute partielles, mais néanmoins éclairantes, me semble t-il.

La première, vient du fait que la gauche arrivant au pouvoir pensait disposer d’une marge de manœuvre assez importante en matière de dépenses budgétaires  parce qu’à l’époque la dette publique était extrêmement faible (27 % du PIB en 1980) et que les prévisions de croissance des pays de l’OCDE paraissaient très favorables et permettraient donc de compenser l’accroissement des importations dus à la relance de la consommation par un accroissement de même ordre des exportations. Malheureusement ce ne fut pas le cas. La demande mondiale chuta assez fortement à partir de 1982 en raison notamment

- de la forte montée des taux d’intérêt sous l’impulsion de politiques monétaristes aux USA engagées à partir de 1999 (Volcker portant les taux d’intérêt de la FED à plus de 20 % en 1981),

 - du durcissement du thachtérisme au Royaume-Uni, et

- de la crise des pays en voie de développement à partie de mi 82, avec l’emblématique crise de la dette mexicaine en août de cette année là.

La deuxième réponse, résulte du fait que pour éviter tout risque de dérives de la création monétaire par l’Etat, source d’inflation, alors que le nouveau gouvernement avait promis de la faire baisser (elle avoisinait 12 % à l’époque), il a été décidé que le déficit public serait financé par des ressources obligataires. Il en est résulté deux conséquences. La première est que les premiers emprunts émis l’ont été à plus de 16% , à taux fixe : il fallait payer au prix fort l’épargne jamais rassurée par un gouvernement de gauche et croyant fort peu aux promesses de faire baisser l’inflation ).Ces emprunts ont coûté très cher au budget les années suivantes avec la forte baisse d’inflation constatée et la baisse des taux d’intérêt qui en a découlé. De plus, par une limitation du taux de rémunération d’une partie de l’épargne auprès des banques et par la politique commerciale de celles-ci – elles se sont souvenues qu’elles disposaient de véhicules de placement collectifs totalement sous utilisés depuis une quinzaine d’années, les SICAV et fonds communs de placement – cette épargne a été canalisée vers l’achat de la dette publique (bons du Trésor et obligations). Le dispositif a parfaitement fonctionné puisque les porteurs de parts ont bénéficié de plus-values importantes résultant de la baisse des taux, elles mêmes liées à la baisse de l’inflation ; ce financement n’a jamais manqué. Le problème est venu du fait qu’à partie de 1985, les plus-values d’hier contenues dans ces SICAV et FCP pouvaient devenir demain autant de moins-values avec l’obligation de remonter les taux pour défendre le franc. Et c’est là , sans doute à son corps défendant que le Gouvernement a été obligé de mettre progressivement en place des circuits, des instruments et des techniques  susceptibles de réduire ce risque. Risque d’autant plus important qu’avec les SCAV monétaires  c’était souvent de la trésorerie d’entreprises et de ménages qui risquaient ces moins-values, voire une illiquidité partielle. Et de permettre l’émission de billets de trésorerie – équivalent au commercial paper aux USA- à la fin de 1985, de créer peu après un marché à terme, le MATIF, et en 1987 un marché d’options négociables, le MONEP, à l’image de la finance outre –atlantique qui avait fortement développé ces techniques et ces marchés au cours de la décennie 70.  

Ainsi , c’est notamment pour maitriser les risques de taux accumulés par un financement non monétaire des déficits publics que les gouvernements de l’époque ont dû instiller de plus en plus de marché dans le fonctionnement de la finance française. Ce qui n’a absolument pas été le cas pour l’Allemagne

La troisième réponse, moins tangible, n’est pas moins réelle. Elle résulte de la pensée économique dominante de l’époque croyant à l’optimum du financement des économies par les marchés de capitaux. Pensée qui a perduré jusqu’à l’automne 2008, jusqu’à le chute de Lehman Brothers… et qui n’est pas loin de reprendre toute son aura !

C’est au nom de la déréglementation, de la modernisation, et de la recherche du mimétisme avec le modèle américain que quelques États (dont la France dès 1986-1987), puis les instances européennes, ont poussé à la transformation des modes de financement, au grand regret de l’Allemagne et plus précisément de la Bundesbank. Cette dernière considérait en effet que lorsque le financement d’un pays est assuré plus de 80%par le crédit, les banques centrales sont largement en mesure de maîtriser les emballements économiques et financiers et qu’elles ne savent plus le faire quand les marchés de capitaux deviennent omniprésents. En écartant ce principe de régulation, on donnait du même coup un grand coup de canif dans le modèle d’économie sociale de marché (parfois appelé le modèle rhénan) et à l’axe politique Paris/Bonn au profit du modèle économique anglo-saxon.

L’Allemagne, l’Espagne, l’Europe du Nord – pour la partie non déjà acquise au modèle américain – et l’Italie ont finalement rejoint ce mouvement de marchéisation de l’épargne et du crédit au cours des années 90.

 

Voilà trois points qui peuvent contribuer partiellement à réduire l’énigme soulevée par Jean-Pierre Chevènement. A moins qu’historiens, économistes, hommes de l’art et responsables de l’époque considèrent que ces analyses sont largement, voire complètement, dénuées de pertinence.