Intervention dans le cadre du Colloque "Finances Publiques" organisé par la Revue "EUROPOLIS",  le  27 mars 2012,  à l'Assemblée Nationale



Bien qu’il y ait, ici dans ce colloque comme ailleurs, beaucoup de débats  et de critiques fortes sur les interventions non conventionnelles récentes de la BCE – rachats de dettes publiques de certains pays de la zone  euro sur les marchés secondaires, concours illimités aux banques à un an puis à trois ans fin 2011 et début 2012 – je considère qu’elle a bien fait d’agir ainsi, ce qui a permis de sauvegarder l’indispensable bon fonctionnement du système bancaire de la zone euro à des moments très critiques pour toute l’Europe.

Je suis par contre beaucoup plus sévère sur son action, et celle de la Fed notamment, avant le commencement de la crise à mi 2007.  A l’avenir, les mêmes errements ne doivent plus avoir lieu. Et pourtant rien, ou presque, n’a été entrepris pour qu’il en soit ainsi.
Sans avoir l’ambition de traiter l’ensemble de cette question, mon intervention, dans le cadre de ce colloque, esquissera une « nouvelle feuille de route » pour dessiner  les contours des interventions de la BCE dans sa conduite de la politique monétaire et sa surveillance macroprudentielle  des systèmes bancaires de la zone euro. A ce titre je présenterai trois pistes.

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Avant de les présenter je reviendrai quelques instants sur les éléments me conduisant à une analyse très critique des politiques monétaires menées depuis le début des années 2000 jusqu’à la crise.

Même si le cœur de ce colloque porte sur les dettes publiques et des finances publiques je veux insister sur le fait que la cause fondamentale  de la crise commencée en 2007 n'est pas une crise de l'endettement public mais  une crise de l'endettement global, public et privé. Que cela était visible depuis au moins l'an 2000 dans tous les pays de l'OCDE.
De 100 pour cent du PIB,  l’endettement intérieur total est passé  à 180 % dès 2002 -2003 dans tous les pays de l’OCDE, c’est à dire bien avant la crise, avec bien souvent des dérapages beaucoup plus importants en matière de dettes privées – tout particulièrement des ménages -que de dettes publiques. De plus, pendant cette période cet endettement est devenu très majoritairement un endettement de marché avec des produits négociables en temps réel et support d’un développement phénoménal de produits à effet de levier (les dérivés) , le tout donnant nécessairement un environnement financier très volatil et très fragile au moindre signal négatif.
Face à ces bouleversements des modes de financements,  encore accrus par la  généralisation des normes IFRS  et  le caractère pro-cyclique des règles prudentielles, il y a eu un silence assourdissant des banques centrales …alors qu’il n’ y a avait pas besoin d’être grand clerc pour dire que tout cela engendrait des risques énormes d’instabilité !
 
Ne regardant ni le prix des actifs immobiliers ni des actifs financiers, ni  les dégradations des balances de paiements  les banques centrales n’ont pas  cherché à prévenir les emballements ni les déséquilibres structurels intra-zone. Elles n’ont pas eu, et c’est un euphémisme,  les actions appropriées  avant la crise.

Avec de tels soubassements, on ne pouvait pas avoir tôt ou tard  autre chose qu'une explosion de la finance privée. D'où l'indispensable intervention des Etats provoquant le surendettement de ces deniers non pas tant par leurs propres  interventions que par la très forte contraction de l'activité contractant les recettes fiscales et sociales alors que les « stabilisateurs automatiques » (inconnus en 1929) jouaient à plein.

Et à partir de là toutes les fragilités de la construction européenne sont apparues et ce d'autant plus qu'au lieu de traiter le problème au plus tôt, dès début 2009
(cf. « Remédier au risque pays dans la zone euro » Michel Castel  -Revue européenne  Eurédia 2009/1-  mais aussi
Le Cercle - Les Echos  du 06/05/2010),  on en est à peine en train de le traiter au fond… alors qu’un cercle vicieux a eu plus de 2 ans pour rendre la situation à la limite du gérable.

Mon propos portera maintenant sur une rapide présentation de ce que j’ai appelé  une «  nouvelle feuille de route pour la BCE ?», titre qui n’ a un point d’interrogation que pour la forme tant je crois nécessaire de changer la donne de ses interventions pour sortir de la crise et accompagner les profondes mutations en cours dont  plusieurs intervenants, dont M. Madelin, ont fait état ici.

Trois pistes sont proposées :

    1-  Recourir, autant que de besoin, aux réserves obligatoires sur les crédits notamment

    2 -Soutenir indirectement le financement de projets portant sur les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables

    3- permettre aux Etats d’avoir un accès direct au crédit pour une partie de leurs besoins en fonds de roulement.


-    1 –  Recourir autant que de besoin aux réserves obligatoires sur les crédits  notamment


Il est indispensable de compléter la politique des taux d’intérêt que mène et mènera la BCE par une politique active de réserves obligatoires  sur les crédits  pour peser sur ceux qui s’emballent ainsi que sur certaines opérations de marché devenant nettement spéculatives. C’est d’autant plus indispensable  qu’elle ne pourra  pas ,comme les autres banques centrales des pays de l’OCDE ,  remonter les taux avant longtemps ( la Fed l’a déjà annoncé) sauf à rendre le poids des dettes publiques et privées insupportables.  Les hausses de taux impactent très vite tous les financements sans distinction alors que les réserves obligatoires permettre de cibler précisément les opérations (crédits et activités de trading)  qui risquent de faire problème à terme sans pénaliser le reste des financements.
( cf « quand Bâle III se substitue aux banques centrales  » - Michel Castel-
Le Cercle  Les Echos - le 06/12/2010 )


- 2 -  Soutenir le financement de projets portant sur les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables 


    Selon différents travaux, ONU, Commission Européenne … les montants en cause portent annuellement sur de 2 à 3 % du PIB européen et ce pendant une décennie ou une décennie et demie.
Depuis, la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du Parlement européen vient,  le 28 février dernier, de voter une directive demandant de réduire de 20 % la consommation énergétique en Europe d’ici 2020 .  A partir d’une politique en la matière arrêtée au niveau européen, chaque pays la déclinerait selon ses besoins propres et selon ses spécificités.
Or les Etats ne peuvent plus soutenir financièrement ces investissements conséquents par des incitations fiscales fortes. Il faut impérativement y associer les circuits financiers et plus spécialement celui du crédit. Pour faciliter ce dernier, il faudrait assurer un accès au refinancement systématique auprès de la BCE pour les crédits finançant de tels projets. Et ce, à un taux inférieur au taux de refinancement ordinaire, par exemple à seulement 66 % de celui qu’elle demande pour ses refinancements les plus longs. Cet avantage est d’autant plus nécessaire pour soutenir l’offre bancaire que Bâle III et les règles de liquidité pèsent très fortement sur l’offre de crédits d’investissements à moyen et long terme. Les banques centrales nationales ou tout autre agence ad hoc s’assureraient du respect du cahier de charges permettant de bénéficier de ce refinancement privilégié par des sondages a posteriori auprès des établissements.
-    Il est dommage que le 29 février, dans sa dernière intervention de refinancement à 3 ans,  la BCE n’ait pas  introduit  un accès de refinancement préférentiel pour des crédits nouveaux de ce type  au lieu de refinancer à l'aveugle des systèmes bancaires et de voir ces derniers, faute de projets,  replacer l’essentiel tous les soirs auprès de l’Eurosystème.

-     De plus,  si depuis décembre  le risque d'une crise de liquidité bancaire ayant été écarté  la BCE met désormais l'accent sur le soutien à l'économie et au crédit, il reste une sérieuse inconnue à l'horizon de trois ans : comment les banques vont-elles pouvoir rembourser les 1.000 milliards empruntés à la BCE en décembre et février ? Jürgen Stark, ancien membre du Directoire de la BCE, n’est pas le seul à s’en inquiéter. Ma proposition, offre un début de sortie ordonnée de cet état de fait et prend donc tout son sens dans cette perspective. Il faut en effet un projet pour sortir des mesures non conventionnelles censées être de courte durée et qui, dans les faits, semblent devenir permanentes.
  
-    (cf « Du bon usage du refinancement par la BCE ». Michel Castel
Le Cercle- Les Echos du 15/11/2011)


-    3 –  permettre aux Etats d’avoir un accès direct au crédit pour une partie de leurs besoins en fonds de roulement.

Connaissez-vous une très grande entreprise qui vive sans banquier(s), sans crédits et/ou sans lignes de crédit ?
Non ! Et bien détrompez-vous, il y a les Etats de la zone euro ! Première entreprise  dans chaque pays par ses missions, son chiffre d’affaires, ses effectifs et son rôle d’entraînement de tout le tissu économique et social, l’ Etat  n’a pas de banquier ! Pas une facilité de caisse, pas un découvert, pas un crédit confirmé  !!
Entre le recours sans borne à la planche à billets et l’interdiction pure et simple de tout concours directs de la banque centrale (en France depuis la loi du 3 janvier 1973 sur la Banque de France et dans toute la zone euro depuis la création de l’euro), il y a assurément un besoin urgent de déplacer le curseur.
Ne faudrait –il pas réfléchir à un financement par le SEBC (l’Eurosystème) de ce qui pourrait correspondre à des besoins de fonds de roulement des Etats, comme cela se fait pour les entreprises, pour couvrir les décalages infra annuels entre recettes et dépenses, pour éviter des retards de paiement des fournisseurs et les jonglages de trésorerie que doivent faire les différents Trésors,  tout particulièrement dans les périodes les plus troublées sur les marchés?
 Un à deux mois maximum de facilités par rapport au budget annuel pourrait être un ordre de grandeur raisonnable. Ce refinancement pourrait se faire au taux que la BCE retient pour le refinancement des banques à 3 mois.  De façon très grossière, et selon les pays, cela pourrait avoisiner, sans le dépasser,  1% à 1,5 % du PIB pour un mois et 2 à 3 % pour 2 mois.

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Voilà trois propositions qui pourraient peut –être être analysées, critiquées, ou approfondies si on y trouve quelque intérêt.                  
Quoi qu’il  en soit,  l’Europe ne s’en sortira pas par la seule discipline budgétaire et la gouvernance. Une nouvelle politique monétaire est à inventer pour parfaire l’action engagée en matière de finances publiques et de gouvernance économique.