Communiqué de presse
Bruxelles, le 25 mars 2013
http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-274_fr.htm?locale=fr
La Commission européenne présente le livre vert sur le financement à long terme de l’économie européenne
"La Commission européenne a adopté aujourd'hui un livre vert qui lance une consultation publique d'une durée de trois mois
sur la manière d'accroître l'offre de financement à long terme et
d'améliorer et de diversifier le système d'intermédiation financière
pour l'investissement à long terme en Europe (...)".
Mes réactions transmises à la Commission le 27 mai :
Depuis le début des années 80, le financement des économies par un
recours accru aux opérations de marché a été privilégié dans tous les
pays de l’OCDE. Pendant longtemps, aux dires de responsables et
d’experts, ce choix aurait permis une croissance économique mondiale
exceptionnelle. Depuis la crise est passée et on voit combien, certes
avec un effet retard mais non moins violent, le prix économique et
social pour ne pas dire sociétal qu’il en coûte et qu’il en coûtera
pendant encore quelques années d’un tel choix.
De nombreux
prosélytes, personnes physiques ou institutions et/ou politiques, après
avoir œuvré à ce basculement du crédit vers les marchés, en sont venus à
dire que titrisation, CDS, activités pour compte propre… n’auraient
pas dû être autant encouragés. En conséquence, et en logique, avec cette
analyse, sous l’impulsion du G.20, un nouveau cadre institutionnel (loi
Dodd-Frank aux USA, nouvelles autorités de surveillance dans l’U.E) et
prudentiel (Bâle 2 devenant Bâle 3) a été dessiné ou se dessine pour
renforcer la robustesse des systèmes bancaires et financiers. Toutes
ces dispositions visent à mieux encadrer le poids des risques de marché
et leurs éventuels effets systémiques sur les systèmes bancaires qui
sont et resteront les relais incontournables du financement du tissu
économique ordinaire, les gardiens de la valeur d’une part importante de
l’épargne et les gestionnaires des systèmes de paiement scripturaux
sans lesquels les économies modernes ne pourraient plus fonctionner.
Or
la crise perdurant et les effets induits de ces nouveaux dispositifs
réglementaires institutionnels qui commencent à se faire sentir font que
des problèmes de financement des entreprises petites et moyennes et des
investissements durables de long terme sont évidents dans l’ensemble de
l’union. Les chiffres de la BCE en attestent. Ces mêmes personnes ou
institutions qui après la crise s’étaient réorientées vers moins de
marché et plus de régulation reviennent aujourd’hui à leurs premières
amours, à savoir chercher le graal par plus de marchés pour palier la
faiblesse des financements bancaires.
C’est dans ce nouvel environnement de pensée que s’inscrit notamment ce Livre vert de la Commission Européenne.
Partir
du constat que « depuis la crise financière, le secteur financier en
Europe n'a plus la même capacité à acheminer l'épargne vers le
financement à long terme et dire qu’il est donc essentiel de réfléchir
aux moyens d'accroître la disponibilité des financements à long terme
par les marchés » c’est vouloir bâtir, à partir de la situation
présente, une nouvelle architecture durable de financement sur un a
priori fort discutable selon moi.
Comme pour l’emploi, constater que
l’octroi du crédit par les banques aux entreprises et plus généralement
aux financements à long terme est en grande difficulté est aussi faux
que de dire comme l’ont dit des hommes politiques « qu’on a tout fait
pour l’emploi ». J’y reviendrai en fin de contribution.
Ces propos ne
signifient pas que je suis contre le fait de faire une place aux
financements de marché, mais je suis pour qu’on donne leur juste place.
C'est-à-dire une architecture financière qui ne soit pas conçue
seulement pour pallier la faiblesse de l’offre bancaire – qui
deviendrait structurelle- mais qui, avec une offre bancaire durablement
revitalisée, apporterait un supplément de financement et/ou une
meilleure allocation des risques en fonction des besoins réels des
agents économiques non financiers. On ne saurait approuver sans autre
forme de procès un projet qui ne chercherait pas une optimisation des
deux canaux de financement que sont le crédit et les marchés de titres
négociables et qui en fait, comme dans le projet de la Commission, part
du postulat que le crédit va durablement perdre de son importance.
Ce
n’est pas le paragraphe commençant par « Bien entendu, les banques ne
disparaîtront pas de la chaîne d'intermédiation en Europe. (…). Mais
dans le contexte des évolutions qui ont affecté le secteur bancaire
depuis la crise, on assiste à l'émergence de nouveaux besoins et de
nouvelles possibilités, pour d’autres intermédiaires, de compléter le
rôle des banques en mettant à disposition d'une manière plus équilibrée
des financements d’investissements à long terme » qui sera de nature
faire changer d’avis. D’une part, l’orientation pour plus de marché est
déjà le discours ambiant et les stratégies bancaires déployées vont dans
ce sens. D’autre part, rien de ce qui est préconisé dans le Livre vert
n’apporte un début de dispositions ou à tout le moins de propositions
pour aider ou inciter les banques à renforcer l’octroi de financements
longs.
Soyons clairs, le tout crédit est aussi inefficient et aussi
dangereux que le tout marché. Ce qui compte est de rechercher un
équilibre subtil, forcément évolutif, entre le crédit et les marchés
avec le capital–risque comme passerelle pour dynamiser ces deux segments
de financement. Et sauf démonstration contraire, que je ne connais pas,
il n’apparaît pas que sur longue période les résultats économiques et
sociaux des pays à financement prépondérant par le crédit soient
inférieurs aux pays dans lesquels ce sont les financements de marchés
qui sont prépondérants. Et, sur des horizons beaucoup plus courts - 5 à 7
ans au maximum- si la prépondérance des marchés semble plus efficiente
que celle de l’intermédiation bancaire, cette dernière n’ajoute pas la
volatilité et l’instantanéité des marchés aux risques intrinsèques à
tout financement. Et c’est une donnée essentielle qu’il faut intégrer
avant de préconiser le fort développement de techniques et d’instruments
de marché.
Le canal du crédit n’est pas sans défaut mais celui de la
marchéïsation non plus. A égalité pour l’analyse du risque
microéconomique, la maitrise du risque macro-économique est moindre
quand les marchés assurent l’essentiel des financements et des risques.
L’atomisation des risques, leur couverture et le succès apparemment
durable anesthésient longtemps les acteurs et les observateurs …jusqu’à
leur réveil. Et là, c’est une déferlante face à laquelle on ne sait pas
faire face.
Un exemple alors même que cela ne touchait qu’un seul
pays. En août 1982 le Mexique endetté de 100 milliards de dollars sous
forme de crédits ne pouvait plus payer ses intérêts ni faire face à
l’amortissement de sa dette. Après plusieurs mois de négociation avec
les banques et le FMI un plan de redressement a été établi. En 1994, ce
pays à nouveau en grande difficulté, la BRI a dû mettre 50 milliards sur
la table en 24 h pour éviter l'effondrement complet les obligations
mexicaines ! Même gravité des problèmes mais délais extraordinairement
différents; de plusieurs mois à de la quasi instantanéité. Aussi je
réitère mon assertion : l’intermédiation bancaire, même si elle commet
des erreurs, n’ajoute pas la volatilité et l’instantanéité des marchés
aux risques intrinsèques à tout financement. Ce point est essentiel pour
limiter les risques systémiques. Or le Livre vert ne peut pas ne pas
prendre en considération cette dimension systémique surtout quand il
préconise des orientations de long terme difficilement réversibles par
ailleurs.
Dans ce qui vient d’être dit il est important de préciser
que c’est tout particulièrement vrai des titres de dettes négociables et
de tous leurs dérivés. La problématique est différente pour le marché
des actions. Les marchés d’actions sont certes également très volatils
mais à eux seuls ils n’ont pas de dimension systémique. Et contrairement
aux marchés de dettes qui ont cette dimension systémiques alors qu’ils
peuvent être très largement remplacées par du crédit non soumis au mark
to market, les marchés d’actions ont un rôle indispensable moins de
financement (sur un plan macro-économique s’entend et non
micro-économiquement) que de lieu de modification du pouvoir
actionnarial des entreprises cotées notamment à l’occasion d’OPA.
De
ces données assez factuelles, il me parait regrettable de constater que
le Livre vert mette autant en avant cette préférence pour les marchés
au détriment du rôle classique des banques et plus spécialement du
crédit.
L’orientation générale retenue dans le Livre vert entérine
la dérive des banques depuis le début de ce millénaire vers une activité
de plus en plus de simples prestataires de services en en faisant des
opérateurs « originate to distribute », rémunérés par des commissions
au détriment de leur rôle fondamental de mutualisation des risques en
les conservant dans leurs bilans (originate to hold ). Dérive dont on a
pourtant déjà vu les effets depuis 2007 et qu’une bonne partie des
nouveaux dispositifs prudentiels, se voulant pourtant correcteurs,
renforce indirectement, peut-être même sans l’avoir voulu.
Si les
propositions du Livre vert qui sont présentées le sont pour acclimater
ou développer raisonnablement certains produits ou techniques de
marché, elles sont bienvenues. Par contre, ce que je conteste c’est
l’optique générale dans laquelle elles sont faites, à savoir une
poursuite accélérée de la désintermédiation en Europe, à l’instar du
système américain qui n’est pas forcément le meilleur modèle à imiter
servilement. En effet, ce qui est bon pour un ou quelques pays n’est pas
forcément bon pour des pays d’économie sociale de marché comme le sont
les pays européens. Pays qui n’ont pas, pour la plupart, l’esprit du
farwest ni de la faillite civile avec la possibilité de se refaire comme
culture de leurs peuples et comme mode de régulation ! De plus ce
modèle aux cycles économiques très contrastés (très forts stop and go)
qui restait gérable quand il était limité aux pays anglo-saxons le sera
beaucoup moins quand il aura été généralisé, non seulement à l’Europe,
non seulement aux pays de l’OCDE, mais aussi très prochainement à toute
la planète.
Venons-en à une présentation plus précise des griefs que
je formule à l’encontre d’un renforcement excessif du rôle des marchés.
Celle-ci sera volontairement brève, les lecteurs de ce papier étant
suffisamment avertis de la chose financière pour qu’il ne soit pas
nécessaire de faire de grandes et longues démonstrations.
J’indiquais
plus haut que L’intermédiation bancaire, même si elle commet des
erreurs, n’ajoute pas la volatilité et l’instantanéité des marchés aux
risques intrinsèques à tout financement. Ce point est essentiel pour
limiter les risques systémiques.
En effet, quand on aura marchéïsé très fortement les financements on aura :
-plus
de volatilité et d’ampleur encore dans les chocs économiques et
financiers – le modèle américain a ses limites en cas de généralisation
(cf. supra) ;
- une très forte démutualisation des signatures des
emprunteurs. L’essentiel des PME et TPE qui n’ont pas et n’auront pas
accès au marché malgré les propositions avancées (celles-ci ne
bénéficieront au mieux qu’aux entreprises de taille intermédiaire),
dépendront plus encore qu’aujourd’hui de banques asséchées des bonnes
signatures. Les nouveaux canaux de financement souhaités resteront
nécessairement très modestes pour ne pas dire anecdotiques pour les
TPE. Pour les entreprises de taille intermédiaire elles risquent de
détériorer leur relation avec leur(s) banque(s) en allant chercher
épisodiquement des ressources sur les marchés alors qu’elles ont besoin
et auront toujours besoin de celle(s)-ci pour passer les moments
difficiles ;
- une déformation des circuits de l’épargne au profit
de produits de marché. Les épargnants supporteront directement les
risques de défaillance et les risque de taux alors que l’épargne
intermédiée bénéficie de la protection du nominal. Les effets de
richesse risquent d’être redoutables y compris dans des pays qui ne
connaissaient pas ce type de fragilité;
- des banques centrales
obligées d’intervenir sur les marchés dans des proportions encore
beaucoup plus grande qu’aujourd’hui par des achats fermes avec des
risques de monétisation considérables.
Aussi proposerai- je
quatre grands principes sur lesquels le nouvel environnement financier
devrait s’appuyer par une régulation appropriée pour trouver un bon
équilibre entre intermédiation et marchés:
-1- Ne pas de facto
favoriser une réglementation prudentielle la sortie des risques des
bilans bancaires alors que la dissémination des risques après du shadow
banking qui reste, quoi qu’on ait décidé les concernant depuis 3 ans,
non réglementé prudentiellement ;
- 2- Limiter la titrisation à la
partie des crédits dont la durée restant à courir est compatible avec
des horizons de marchés profonds et liquides pour limiter l’aléa moral
d’un développement excessif du « originate to distribute » ;
- 3-
Favoriser une offre de produits d’épargne bancaires performants plutôt
qu’orienter l’épargne vers des produits de dettes négociables surtout
lorsqu’ils comportent des risques en capital « non capés » pouvant être
dévastateurs en termes d’effets de richesse ;
- 4- Permettre un
refinancement privilégié ( en accès et en taux) auprès de la BCE et/ou
des banques centrales parties prenantes du SEBC des crédits
correspondant au financement de la transition énergétique et
environnementale ainsi que de grands projets d’intérêt commun décidés
par l’union Européenne.
On s’arrêtera un instant pour développer
cette proposition. La BCE pourrait dès maintenant annoncer le lancer
prochain d’un nouveau plan de refinancement à moyen terme des banques-
pour 5 à 7 ans au moins- pour compenser la fin prochaine des deux plans
de ce type lancés fin 2010. Mais il faut cette fois qu'elle y instille
une certaine sélectivité en ciblant ces refinancements au profit de
crédits nouveaux finançant la transition énergétique et écologique ainsi
que de grands projets d'infrastructure d'intérêt national et/ou
européen réalisés en conformité avec un grand plan européen décidé en la
matière. Cela aiderait à la croissance et contrebalancerait en partie
l'effet très fortement négatif des exigences de liquidité et de
renforcement de fonds propres imposés par Bâle 3. Avec l'Union bancaire
européenne, la BCE est maintenant en charge du contrôle des banques
systémiques de l'UE. Analyser leur prise de risques et la façon dont
elles contribuent on non au bon financement des économies européennes et
donc à la robustesse de leur environnement doit être maintenant dans
son cahier des charges. Et ce au même titre que la surveillance de
l'inflation, sauf à laisser prospérer des risques financiers,
économiques et sociaux non maitrisables pourtant de son ressort.
*
Au total, les orientations du Livre vert ne sont pas sans comporter de
sérieuses ambiguïtés sur la qualité de l’architecture financière
qu’elles se proposent d’établir pour le financement des investissements à
long terme. Elles vont contribuer à accroître la démutualisation des
risques et le champ de la volatilité inhérente aux marchés. Cela
fragilisera encore un peu plus le cœur du métier des banques, à savoir
le crédit conservé dans leurs bilans sans avoir aucune certitude que les
nouveaux instruments ou canaux de financements irrigueront de façon
plus
que symbolique les TPE, les entrepreneurs individuels et les professions
libérales.