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Mot-clé - BCE et Cour de Karlsruhe

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mardi, 12 mai 2020

Pourquoi la Cour de Karlsruhe cherche t-elle à déstabiliser la BCE ?

Publié sur LinkedIn le 12/05/2020

L'Allemagne verrouille toujours le budget européen, retarde le plein fonctionnement du fonds de garantie des dépôts, corsète fortement le Mécanisme européen de stabilité (MES) , bloque les emprunts qui seraient émis solidairement par tous les pays de la zone euro. Mais il y a une institution qu'elle n'arrive pas à verrouiller depuis la crise de la zone euro à cause de la dette publique de plusieurs pays membres en 2011 /2012. Cette institution c'est la BCE.

En effet, le Président de la BCE, Mario Draghi, le 26 juillet 2012 déclara  "la BCE fera tout ce qui est nécessaire pour sauver la zone euro " (c'est le fameux " whatever it takes"). Peu après cette déclaration  des plaignants allemands saisissent la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe mais la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) en 2015 ne suit pas son analyse. Peu après, une nouvelle offensive est lancée par un groupe mené par un influent entrepreneur allemand, Heinrich Weiss. La Cour de Karlsruhe transmet une question préjudicielle à la CJUE et cette dernière répond en décembre 2018 en validant le programme d'achat d'obligations d'Etat mené depuis mars 2015. Enfin, le 5  mai 2020 la Cour refuse de se plier à l'avis de la CJUE. Elle exige que la BCE justifie dans les 3 mois  la conformité des rachats de dette publique aux traités européens. Si elle en est incapable, la Bundesbank devra cesser d’ici trois mois de participer à ce programme de refinancement ; mais cela met en péril les refinancements en cours et potentiellement aussi - quoi qu'elle écrive- celui qui vient d'être arrêté pour faire face à la crise majeure déclenchée par le COVID-19, si un nouveau recours était lancé.

     
Pourquoi cette position aussi abrupte sur tous les fronts? Pour ce qui concerne la BCE- on ne regardera que ce front- c'est parce que  celle-ci pratique une politique monétaire adaptée à la majorité des pays de la zone Euro et pas à celle de l'Allemagne qui, elle, est en très bonne santé économique et financière mais qui doit faire face à un important vieillissement de sa population et donc assurer une forte accumulation d’épargne. Il faut se rappeler les propos de Bild qui a représenté Draghi en vampire suçant le sang des épargnants allemands, et une politique de taux bas qui rend plus délicat encore le financement des retraites par fonds de pension.  


Or il faudrait que les Allemands, intègrent le fait indiscutable, mais difficile à entendre, qu'un fraction croissante de leur épargne repose sur des économies réelles qui ne peuvent pas les rémunérer correctement ou en respecter la valeur en termes de pouvoir d'achat. Même bien protégée par un endettement national étonnamment faible par rapport à tous les autres pays de l'OCDE, et de la Chine, l'épargne allemande l'est beaucoup moins pour l'importante fraction investie dans de la dette étrangère pouvant comporter en plus un de risque de change. Qu'elle le veuille ou non une bonne partie de la valeur de cette épargne repose donc sur un environnement économique et financier international.


Notons qu'il n'y a pas que les épargnants Allemands qui sont dans cette situation. Tous les épargnants des pays développés supportent comme eux les taux très  bas et des risques de défaillances d'emprunteurs publics et privés dans des proportions sans précédents en temps de paix. En effet depuis le début des années 80  il y a une déconnexion considérable et croissante entre les dettes  -et donc les créances monétaires et financières- et les économies réelles. On est passé d'un rapport de 1 pour 1 entre l'endettement de l'ensemble des agents non financiers et le PIB avant cette période à près de 2 pour 1 juste avant la crise de 2008 pour être à environ 2, 5 juste avant le COVID-19. Et combien après ?  

C'est une situation financière mondiale fortement dégradée depuis 2008 à laquelle on s'est habitué et qui donne l'impression de ne pas faire problème parce que depuis cette période les banques centrales maintiennent une sur-liquidité qui permet cette fuite en avant. Mais jusqu'où et pour combien de temps ? Le COVID risque de précipiter les échéances.
il devra y avoir progressivement  une  certaine réconciliation entre le financier et le réel pour que ce dernier puisse en supporter le prix.  
Il n'y a que deux ajustements possibles dans des économies à la croissance durablement limitée, soit l'inflation qui lamine progressivement le pouvoir d'achat de l'épargne soit des taux d'intérêts réels négatifs qui en laminent durablement le rendement. 
 
Dans ce dernier environnement qui est le nôtre, ou l'ajustement  se fait par une violente crise sur les marchés de capitaux qui se traduirait par une dévaluation brutale de la valeur des avoirs financiers ( 20 % à 30 % ne sont pas à exclure) avec des effets immédiats catastrophiques -notamment par les effets de richesse-  ou il se réalise par une lente mais longue "répression financière", comme disent les économistes, sur le rendement de ces capitaux.
Ce dernier cheminement n'est pas plaisant mais il est nettement préférable au précédent car il évite des chocs frontaux massifs et totalement destructeurs.

Certes, le pire n'est jamais sûr mais on flirte d'autant plus dangereusement que l'Europe- malgré des engagements non négligeables ces derniers temps - laisse prévaloir l'idée au mieux qu'elle ne fait rien au pire qu'elle est nuisible car libérale et mondialiste.

L'arrêt de la Cour Constitutionnelle  de Karlsrhue tombe au plus mauvais moment. La solidarité est plus nécessaire que jamais car derrière d'évidentes disparités de situations entre les pays membres de la zone euro il y a des fondamentaux mondiaux autrement plus puissants qui peuvent même bousculer les pays et les économies les plus solides et conduire les autres à l'abîme. Espérons que la présidence tournante qui revient à l'Allemagne à partir de ce 1er juillet saura prendre des décisions qui aideront puissamment à faire face à tous ces enjeux sans être altérées par cette décision de la Cour de Karlsrhue.

nota : Il faudrait un autre développement pour décrire comment ce risque de surendettement croissant devient d'autant grave qu'il est apprécié et négocié mondialement, en temps réel, au comptant, à terme et de façon optionnelle en jouant sur les stocks de dettes (de plus en plus négociables par ailleurs ) et pas seulement sur les flux additionnels de capitaux.