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Mot-clé - Réserves obligatoires

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jeudi, 7 novembre 2013

Bulles et effervescence du système financier

Le Cercle Les Echos- le 04/11/2013 - article de Nouriel Roubini

 Alors que la croissance du PIB est encore inférieure à son taux tendanciel et que le chômage reste élevé dans la plupart des pays avancés, leurs banques centrales continuent à recourir à une politique monétaire de moins en moins orthodoxe.

mon commentaire :

Quand les économistes essayeront-ils de ne plus se contenter de papiers faciles leur permettant de hurler avec les loups en disant que les autorités ne peuvent aller que de Charybde en Scylla ?
Au lieu de tenir de tels propos qui ne font pas avancer les choses pourquoi ne se "mouillent-ils pas" un peu en essayant d'esquisser une stratégie cohérente permettant de sortir de ces corners ?

Dans ce sens, et bien modestement, je renouvelle avec quelques autres économistes l'idée de compléter impérativement la politique des taux d’intérêt par une politique active de réserves obligatoires sur les crédits et les opérations de marché qui s’emballent. Les hausses de taux impactent très vite tous les financements sans distinction alors que les réserves obligatoires permettre de cibler précisément les opérations (crédits et activités de marché via l'analyse des positions, des appels de marge... ) qui risquent de faire problème à terme sans pénaliser le reste des financements. Un analyse beaucoup plus détaillée peut être trouvée dans  Le Cercle  Les Echos - le 06/12/2010  - Michel Castel- " Quand Bâle III se substitue aux banques centrales".

lundi, 2 avril 2012

Une feuille de route pour la BCE ?

Intervention dans le cadre du Colloque "Finances Publiques" organisé par la Revue "EUROPOLIS",  le  27 mars 2012,  à l'Assemblée Nationale



Bien qu’il y ait, ici dans ce colloque comme ailleurs, beaucoup de débats  et de critiques fortes sur les interventions non conventionnelles récentes de la BCE – rachats de dettes publiques de certains pays de la zone  euro sur les marchés secondaires, concours illimités aux banques à un an puis à trois ans fin 2011 et début 2012 – je considère qu’elle a bien fait d’agir ainsi, ce qui a permis de sauvegarder l’indispensable bon fonctionnement du système bancaire de la zone euro à des moments très critiques pour toute l’Europe.

Je suis par contre beaucoup plus sévère sur son action, et celle de la Fed notamment, avant le commencement de la crise à mi 2007.  A l’avenir, les mêmes errements ne doivent plus avoir lieu. Et pourtant rien, ou presque, n’a été entrepris pour qu’il en soit ainsi.
Sans avoir l’ambition de traiter l’ensemble de cette question, mon intervention, dans le cadre de ce colloque, esquissera une « nouvelle feuille de route » pour dessiner  les contours des interventions de la BCE dans sa conduite de la politique monétaire et sa surveillance macroprudentielle  des systèmes bancaires de la zone euro. A ce titre je présenterai trois pistes.

                                                                                     * 

Avant de les présenter je reviendrai quelques instants sur les éléments me conduisant à une analyse très critique des politiques monétaires menées depuis le début des années 2000 jusqu’à la crise.

Même si le cœur de ce colloque porte sur les dettes publiques et des finances publiques je veux insister sur le fait que la cause fondamentale  de la crise commencée en 2007 n'est pas une crise de l'endettement public mais  une crise de l'endettement global, public et privé. Que cela était visible depuis au moins l'an 2000 dans tous les pays de l'OCDE.
De 100 pour cent du PIB,  l’endettement intérieur total est passé  à 180 % dès 2002 -2003 dans tous les pays de l’OCDE, c’est à dire bien avant la crise, avec bien souvent des dérapages beaucoup plus importants en matière de dettes privées – tout particulièrement des ménages -que de dettes publiques. De plus, pendant cette période cet endettement est devenu très majoritairement un endettement de marché avec des produits négociables en temps réel et support d’un développement phénoménal de produits à effet de levier (les dérivés) , le tout donnant nécessairement un environnement financier très volatil et très fragile au moindre signal négatif.
Face à ces bouleversements des modes de financements,  encore accrus par la  généralisation des normes IFRS  et  le caractère pro-cyclique des règles prudentielles, il y a eu un silence assourdissant des banques centrales …alors qu’il n’ y a avait pas besoin d’être grand clerc pour dire que tout cela engendrait des risques énormes d’instabilité !
 
Ne regardant ni le prix des actifs immobiliers ni des actifs financiers, ni  les dégradations des balances de paiements  les banques centrales n’ont pas  cherché à prévenir les emballements ni les déséquilibres structurels intra-zone. Elles n’ont pas eu, et c’est un euphémisme,  les actions appropriées  avant la crise.

Avec de tels soubassements, on ne pouvait pas avoir tôt ou tard  autre chose qu'une explosion de la finance privée. D'où l'indispensable intervention des Etats provoquant le surendettement de ces deniers non pas tant par leurs propres  interventions que par la très forte contraction de l'activité contractant les recettes fiscales et sociales alors que les « stabilisateurs automatiques » (inconnus en 1929) jouaient à plein.

Et à partir de là toutes les fragilités de la construction européenne sont apparues et ce d'autant plus qu'au lieu de traiter le problème au plus tôt, dès début 2009
(cf. « Remédier au risque pays dans la zone euro » Michel Castel  -Revue européenne  Eurédia 2009/1-  mais aussi
Le Cercle - Les Echos  du 06/05/2010),  on en est à peine en train de le traiter au fond… alors qu’un cercle vicieux a eu plus de 2 ans pour rendre la situation à la limite du gérable.

Mon propos portera maintenant sur une rapide présentation de ce que j’ai appelé  une «  nouvelle feuille de route pour la BCE ?», titre qui n’ a un point d’interrogation que pour la forme tant je crois nécessaire de changer la donne de ses interventions pour sortir de la crise et accompagner les profondes mutations en cours dont  plusieurs intervenants, dont M. Madelin, ont fait état ici.

Trois pistes sont proposées :

    1-  Recourir, autant que de besoin, aux réserves obligatoires sur les crédits notamment

    2 -Soutenir indirectement le financement de projets portant sur les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables

    3- permettre aux Etats d’avoir un accès direct au crédit pour une partie de leurs besoins en fonds de roulement.


-    1 –  Recourir autant que de besoin aux réserves obligatoires sur les crédits  notamment


Il est indispensable de compléter la politique des taux d’intérêt que mène et mènera la BCE par une politique active de réserves obligatoires  sur les crédits  pour peser sur ceux qui s’emballent ainsi que sur certaines opérations de marché devenant nettement spéculatives. C’est d’autant plus indispensable  qu’elle ne pourra  pas ,comme les autres banques centrales des pays de l’OCDE ,  remonter les taux avant longtemps ( la Fed l’a déjà annoncé) sauf à rendre le poids des dettes publiques et privées insupportables.  Les hausses de taux impactent très vite tous les financements sans distinction alors que les réserves obligatoires permettre de cibler précisément les opérations (crédits et activités de trading)  qui risquent de faire problème à terme sans pénaliser le reste des financements.
( cf « quand Bâle III se substitue aux banques centrales  » - Michel Castel-
Le Cercle  Les Echos - le 06/12/2010 )


- 2 -  Soutenir le financement de projets portant sur les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables 


    Selon différents travaux, ONU, Commission Européenne … les montants en cause portent annuellement sur de 2 à 3 % du PIB européen et ce pendant une décennie ou une décennie et demie.
Depuis, la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du Parlement européen vient,  le 28 février dernier, de voter une directive demandant de réduire de 20 % la consommation énergétique en Europe d’ici 2020 .  A partir d’une politique en la matière arrêtée au niveau européen, chaque pays la déclinerait selon ses besoins propres et selon ses spécificités.
Or les Etats ne peuvent plus soutenir financièrement ces investissements conséquents par des incitations fiscales fortes. Il faut impérativement y associer les circuits financiers et plus spécialement celui du crédit. Pour faciliter ce dernier, il faudrait assurer un accès au refinancement systématique auprès de la BCE pour les crédits finançant de tels projets. Et ce, à un taux inférieur au taux de refinancement ordinaire, par exemple à seulement 66 % de celui qu’elle demande pour ses refinancements les plus longs. Cet avantage est d’autant plus nécessaire pour soutenir l’offre bancaire que Bâle III et les règles de liquidité pèsent très fortement sur l’offre de crédits d’investissements à moyen et long terme. Les banques centrales nationales ou tout autre agence ad hoc s’assureraient du respect du cahier de charges permettant de bénéficier de ce refinancement privilégié par des sondages a posteriori auprès des établissements.
-    Il est dommage que le 29 février, dans sa dernière intervention de refinancement à 3 ans,  la BCE n’ait pas  introduit  un accès de refinancement préférentiel pour des crédits nouveaux de ce type  au lieu de refinancer à l'aveugle des systèmes bancaires et de voir ces derniers, faute de projets,  replacer l’essentiel tous les soirs auprès de l’Eurosystème.

-     De plus,  si depuis décembre  le risque d'une crise de liquidité bancaire ayant été écarté  la BCE met désormais l'accent sur le soutien à l'économie et au crédit, il reste une sérieuse inconnue à l'horizon de trois ans : comment les banques vont-elles pouvoir rembourser les 1.000 milliards empruntés à la BCE en décembre et février ? Jürgen Stark, ancien membre du Directoire de la BCE, n’est pas le seul à s’en inquiéter. Ma proposition, offre un début de sortie ordonnée de cet état de fait et prend donc tout son sens dans cette perspective. Il faut en effet un projet pour sortir des mesures non conventionnelles censées être de courte durée et qui, dans les faits, semblent devenir permanentes.
  
-    (cf « Du bon usage du refinancement par la BCE ». Michel Castel
Le Cercle- Les Echos du 15/11/2011)


-    3 –  permettre aux Etats d’avoir un accès direct au crédit pour une partie de leurs besoins en fonds de roulement.

Connaissez-vous une très grande entreprise qui vive sans banquier(s), sans crédits et/ou sans lignes de crédit ?
Non ! Et bien détrompez-vous, il y a les Etats de la zone euro ! Première entreprise  dans chaque pays par ses missions, son chiffre d’affaires, ses effectifs et son rôle d’entraînement de tout le tissu économique et social, l’ Etat  n’a pas de banquier ! Pas une facilité de caisse, pas un découvert, pas un crédit confirmé  !!
Entre le recours sans borne à la planche à billets et l’interdiction pure et simple de tout concours directs de la banque centrale (en France depuis la loi du 3 janvier 1973 sur la Banque de France et dans toute la zone euro depuis la création de l’euro), il y a assurément un besoin urgent de déplacer le curseur.
Ne faudrait –il pas réfléchir à un financement par le SEBC (l’Eurosystème) de ce qui pourrait correspondre à des besoins de fonds de roulement des Etats, comme cela se fait pour les entreprises, pour couvrir les décalages infra annuels entre recettes et dépenses, pour éviter des retards de paiement des fournisseurs et les jonglages de trésorerie que doivent faire les différents Trésors,  tout particulièrement dans les périodes les plus troublées sur les marchés?
 Un à deux mois maximum de facilités par rapport au budget annuel pourrait être un ordre de grandeur raisonnable. Ce refinancement pourrait se faire au taux que la BCE retient pour le refinancement des banques à 3 mois.  De façon très grossière, et selon les pays, cela pourrait avoisiner, sans le dépasser,  1% à 1,5 % du PIB pour un mois et 2 à 3 % pour 2 mois.

                                                          ***
Voilà trois propositions qui pourraient peut –être être analysées, critiquées, ou approfondies si on y trouve quelque intérêt.                  
Quoi qu’il  en soit,  l’Europe ne s’en sortira pas par la seule discipline budgétaire et la gouvernance. Une nouvelle politique monétaire est à inventer pour parfaire l’action engagée en matière de finances publiques et de gouvernance économique.

jeudi, 3 février 2011

Une hausse des taux par la BCE serait vaine et nuisible

Le Cercle- Les Echos- jeudi 3 février 2011

Résumé  de l'article :

S'il faut réagir contre la flambée des prix de l'énergie, des matières premières et agricoles, compte tenu du surendettement généralisé des agents économiques et de la faiblesse de la conjoncture occidentale, ce n'est pas par une hausse des taux qu'il faut agir.

 Les réserves obligatoires et un plafonnement des effets de levier chez les non banques seraient hautement plus souhaitables. Mais il faut que ce soit une action décidée au niveau mondial. Le G20 doit se saisir au plus vite de cette question. Rien ne s'y oppose et les Américains ont montré- certes modestement- la voie pour les effets de levier. 

                                                      **

Avec la remontée de l’indice des prix dans plusieurs pays, plusieurs banques centrales ont commencé à relever leurs taux (Chine, Brésil, Corée, Suède …), alors que la Banque d’Angleterre hésite et que la BCE est sur le qui-vive. Nul doute que cette dernière interviendra avant la fin du mandat de l’actuel Président, ou tout aussitôt après la nomination de son successeur, qui sera certainement un adepte d’une politique monétaire stricte.
 
Or il nous paraît qu’un premier relèvement de taux, même modeste, annoncera une longue période de relèvement des taux d’autant plus significatifs qu’on part de taux les plus bas de toute l’histoire économique moderne. Ce serait le prix à payer pour casser l’inflation dira-t-on et qu’il faut le faire avant qu’un emballement de l’inflation produise des moins-values cataclysmiques sur toutes les dettes négociables de la planète.
 
Si on ne peut qu’être d’accord avec l’impérative nécessité d’éviter un tel risque qui, vu la situation économique mondiale, provoquerait cette fois-ci une véritable récession avec tout ce que cela peut induire de catastrophique, ce n’est pas pour autant qu’on doive en conclure qu’il faille relever très prochainement les taux d’intérêt et surtout n’y voir que la seule arme à utiliser. Nous considérons en effet qu’un relèvement des taux serait inopérant et même nuisible. Il serait inopérant pour deux raisons.
 
La première vient du fait qu’une hausse des taux par les banques centrales occidentales à la suite à une hausse des prix de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles serait totalement inopérante sur les prises de position financières venant amplifier considérablement les déséquilibres (généralement peu importants à court terme) entre l’offre et la demande de l’économie réelle pour ces produits. En effet qu’est-ce que passer de 1% à 3% changerait pour des opérateurs financiers quand ils espèrent un gain de quelques pour cents en quelques jours ou de 15- 20 %, voire bien davantage, en quelques semaines ou quelques mois sur du pétrole, du cuivre, du blé… et cela en réalisant des achats au comptant, ou mieux des contrats à terme ou optionnels permettant des effets de levier considérables par rapport au cash mobilisé ?
 
Des pays aux salaires encore plus bas que ceux pratiqués en Chine se mettent sur les rangs pour l’exportation
 
La seconde raison vient du fait que les hausses de prix actuelles n’ont pas entraîné une spirale prix-salaires comme cela a pu l’être après le premier choc pétrolier dans les années 70. La donne économique mondiale a totalement changé. Les réserves de main d’œuvre mondiales et le degré de mondialisation sont tels que les salariés occidentaux ne sont pas en état d’obtenir une indexation des salaires sur les prix. Les « effets de second tour » pour parler comme les banquiers centraux ne sont pas de saison. Pour l’heure, il n’y a guère qu’en Allemagne que cela se fait sentir, essentiellement en rattrapage de la décennie 2000 très défavorable aux salaires dans le partage de la valeur ajoutée. Mais c’est un pays qui depuis plus de 50 ans a toujours su maîtriser magistralement la question de l’inflation, et il n’y a pas de raison de penser qu’il en serait autrement aujourd’hui. Certes, il y a les hausses de salaires en Chine, mais elles restent de peu d’effet sur les prix de vente finaux sur les marchés occidentaux et les exportations courantes chinoises restent d’autant plus demandées que la stagnation du pouvoir d’achat des occidentaux, voire sa baisse, les poussent à arbitrer en faveur de ces produits beaucoup moins chers que ceux produits chez eux. Et des pays aux salaires encore plus bas que ceux pratiqués en Chine se mettent sur les rangs pour l’exportation de ces produits.
 
Donc un relèvement de taux par les banques centrales vise une cible aux contours mal cernés et dont le cœur est quasiment insensible à une telle mesure. De surcroît, un relèvement de taux serait nuisible.
 
Il a été dit suffisamment de fois qu’un relèvement des taux risquait de remettre en question la timide reprise économique en cours pour qu’on ne s’attarde pas sur ce point, par ailleurs essentiel. Mais au-delà de ce risque, il faut descendre un peu plus finement sur les conséquences d’une hausse des taux sur certains acteurs économiques et sur la stabilité financière globale.
 
Quand bien même les PIB seraient en légère croissance dans les pays développés, qu’en serait-il de tous les secteurs économiques – et industriels en particulier- qui ont des chiffres d’affaires qui ont baissé de 5 ou 10 % ces deux dernières années et qui n’ont pas retrouvé le niveau d’activité d’avant crise ? A combien sera le taux réel de leur dette si les taux montaient de 2 ou 3 % dans les deux ans à venir alors que la planète entière connaît soit des plans de rigueur, soit des politiques de « refroidissement de leur croissance » à la chinoise ? Qu’en serait-il des ménages fortement endettés pour du crédit à l’habitat ou du crédit à la consommation dont le pouvoir d’achat est amputé par le prix de l’énergie, des produits alimentaires, et dont une partie grandissante sont des salariés pauvres, voire des salariés qui ont perdu leur travail ? Et ce sans parler des pays qui pratiquent à grande échelle des taux variables pour les crédits accession à la propriété. Qu’en serait-il enfin des Etats et autres collectivités locales alors que leurs dettes sont d’ores et déjà à la limite du soutenable ? Il est inutile là aussi d’insister.
 
Enfin, et ce point est sans doute plus grave que les trois précédents, une remontée progressive mais durable des taux – et finalement opérée également aux USA - serait une source de moins values considérables pour tous les porteurs d’obligations et de crédits titrisés qui représentent environ deux fois le PIB mondial et donc peuvent représenter 5 à 10 fois le montant des subprimes à l’origine du déclenchement de la crise de 2007 !
 
L’accès au financement bancaire ou de marché pourrait se retrouver, comme en 2009, fortement limité
 
Que ces moins-values soient comptabilisées ou non - la comptabilité américaine  ou internationale ont de ces subtilités …- par les banques, les hedge funds ou les assurances pour des opérations pour compte propre, ou conséquences des garanties formelles (ou simplement commerciales), données aux capitaux investis par les souscripteurs, ou encore des placements détenus sans protection par des ménages et des entreprises… chacun saura qu’il a perdu une partie de son épargne financière, que ses garanties sont amoindries. L’accès au financement bancaire ou de marché pourrait se retrouver, comme en 2009, fortement limité. Et de nouveaux risques systémiques chez les institutionnels seraient à craindre. Mais cette fois-ci il n’y a pratiquement plus d’Etats capables de jouer les sauveteurs en dernier ressort.
 
De quelque côté que l’on regarde les effets d’une hausse des taux, on ne voit que des effets réellement ou potentiellement extrêmement négatifs. Faut-il pour autant ne rien faire ? Non. Les banques centrales et les autres autorités financières disposent au moins de deux autres moyens pour parvenir à casser les points de spéculation actuellement en œuvre, sans pénaliser toute l’économie par un relèvement des taux d’intérêt.
 
Le premier instrument est l’utilisation des réserves obligatoires non rémunérées à constituer auprès des banques centrales. Contrairement aux taux d’intérêt qui ont un effet sur tous les financements, les réserves obligatoires permettent des actions ciblées à l’encontre des opérations financières considérées comme sources d’emballements indésirables.
 
A ce titre, elles peuvent avoir pour assiette toute augmentation excessive des positions spéculatives sur les marchés des matières premières, de l’énergie, des produits agricoles, mais aussi sur des devises, pour ne retenir que les domaines qui font particulièrement problème actuellement. Les seuils de déclenchement et la progressivité de leur taux seraient rendus publics. Avant même qu’ils ne jouent ils pourraient inciter les acteurs à plus de modération. On notera que ces réserves n’ont rien à voir avec les réserves obligatoires existantes assises sur les dépôts : ces derniers sont la contrepartie mécanique et passive des crédits et des mises en jeu d’engagements de hors bilan et ne corrigent en rien les emballements indésirables. Les réserves obligatoires sur certains crédits ou sur certaines opérations de marché par contre jouent, elles, à la source des dérapages.
 
Le second instrument correspond au plafonnement des effets de levier des fonds d’investissement qui échappent à l’action directe des banques centrales. Il vise donc essentiellement les prises de position de fonds d’investissements-dont les hedge funds- travaillant avec les capitaux d’apporteurs de fonds mais aussi sur des capitaux empruntés auprès de banques.
 
Les Etats-Unis ont ouvert la voie depuis qu’ils ont commencé à surveiller les fonds d’investissement en leur demandant leur enregistrement auprès de la SEC, de fournir des informations sur leurs actifs et sur les effets de levier mis en œuvre. En outre, depuis fin 2009 la Commodities Futures Trading Commission (CFTC) plafonne individuellement le nombre de contrats d’option portant sur les produits énergétiques. Même si tout cela est encore très peu contraignant et ne touche pas tous les produits concernés par la spéculation, le principe en est retenu. L’Union européenne est par contre très en retard sur ce point et ce n’est qu’en 2013 que les superviseurs nationaux pourront fixer un plafond aux effets de levier de ces fonds. On ne peut pas attendre 2013 ou 2014 pour agir et laisser ainsi, faute de mieux, voir la plupart des banques centrales occidentales, dont la BCE, utiliser le marteau pilon des taux.
 
Toutefois ces deux actions –réserves obligatoires et plafonnement des effets de levier- ne peuvent pas être menées sur le seul plan national, ou régional. Les menaces sur les prix sont mondiales et le choix des armes et leur champ d’application doivent aussi être mondiaux. Seul le G20 a les moyens politiques d’en faire une recommandation forte et d’application quasi immédiate pour permettre une coordination mondiale dépassant les petits intérêts des uns ou des autres essayant de protéger ses champions ou sa place financière. Il y a urgence. Les soubresauts un peu partout dans le monde exige que le G20 édicte d’autant plus vite des règles conservatoires ciblées et appropriées pour maitriser la flambée des prix, sans renvoyer implicitement la question aux banques centrales qui ne conçoivent actuellement leur action que par la manipulation des taux d’intérêt. 

MichelCastel

lundi, 6 décembre 2010

Quand Bâle III se substitue aux banques centrales


Le Cercle  Les Echos - le 06/12/2010 

synthèse :

Avec Bâle III, la réglementation bancaire qui était d’inspiration purement microéconomique prend enfin en compte la dimension macroéconomique. Mais autant le provisionnement des risques ex ante est bienvenu, autant son dispositif contracyclique imposant des fonds propres additionnels en cas d’emballement dans un pays ne paraît pas des plus souhaitables.

Il est regrettable de demander au prudentiel d’utiliser un outil bien moins pertinent et moins efficace que les réserves obligatoires qui, à côté des taux d’intérêt, sont l’autre arme dont dispose les banques centrales pour conduire leur politique monétaire. Les Chinois ont montré, eux, qu’ils l’avaient bien compris.


Parmi les causes de la crise financière de 2007/2008  les analyses, y compris par les autorités bancaires et financières, ont signalé l’importance du rôle joué par Bâle II, le dispositif prudentiel de banques. La raison ? La nature micro-prudentielle des ratios qu’il demande de respecter. En effet dans ses exigences, Bâle II ne tenait pas compte des effets globaux des comportements individuels des banques. Celles-ci, tout en respectant individuellement la réglementation, pouvaient donc prendre toujours plus de risque en les cédant sur les marchés… jusqu’à provoquer la crise systémique que l’on sait.

De plus, sans parler du rôle majeur dans la crise des valorisations « valeur de marché » d’un volume croissant de créances et de dettes, Bâle 2 comportait, sans aucun correctif, des éléments de réglementation qui pouvaient amplifier le caractère cyclique des économies.

Les recommandations du Comité de Bâle du 12 septembre, appelées Bâle III, ne sont pas retombées dans ce travers. A côté d’ajustements de nature micro-prudentielle (essentiellement le resserrement de la notion de fonds propres, une meilleure prise en compte des risque de marché et la mise en place progressive de ratios de liquidité), le Comité de Bâle a voulu traiter les aspects macro-prudentiels, sans lesquels aucun acteur ne peut être vraiment en sécurité. A ce titre, il a institué deux dispositifs réglementaires.

Le premier, appelé « volant de conservation », demande aux banques de constituer des provisions ex ante pendant le temps « des vaches grasses » pour être mieux à même de passer le temps des « vaches maigres », et ce à hauteur de 2,5 % des fonds propres des établissements. Le second, appelé « volant contracyclique », prévoit la possibilité pour un pays d’imposer à son système bancaire des fonds propres additionnels - de 0 % à 2,5% des risques pondérés - lorsqu’il juge excessive la croissance globale des crédits sur son territoire.

Le provisionnement contracyclique relève des banques centrales et de la politique monétaire

Autant le provisionnement ex ante est bienvenu, et était d’ailleurs préconisé depuis longtemps (cf. le  Conseil National du Crédit en 1995 dans un rapport sur « le risque de crédit ») et pratiqué par les autorités espagnoles, autant le provisionnement contracyclique ne nous paraît pas devoir relever de la réglementation prudentielle mais des banques centrales et de la politique monétaire.

En effet, il y a confusion des genres. Le contrôle prudentiel est un soubassement structurel stable qui ne doit pas être modifié en fonction des conjonctures économiques car il faut du temps pour mettre en place de nouvelles exigences et une fois posées elles peuvent durer plus que nécessaire. Cette inertie vient du fait que les ratios prudentiels portent essentiellement sur les fonds propres qui sont d’une manipulation difficile. De plus ils jouent sur la géographie du capital et sur les capitalisations boursières. Avec ce nouveau dispositif, le prudentiel devient en charge de toute la régulation financière à la politique des taux d’intérêt près !

C’est ignorer le rôle des banques centrales dont la deuxième mission, à côté de la lutte contre l’inflation est d’assurer la robustesse du système bancaire. A coté des taux, les banques centrales disposent d’un outil parfaitement approprié pour piloter plus finement les conditions de financement au vu des données macro-économiques. Il s’agit des réserves obligatoires non rémunérées dont le(s) seuil(s) de déclenchement et la progressivité sont rendus publics. Avant même qu’ils ne jouent ils peuvent inciter les acteurs à plus de modération.

Leur mise en œuvre permet de freiner, voire de casser, spontanément ou sous la contrainte financière, un emballement général des crédits ou d’une catégorie importante d’entre eux. Elles peuvent également être mobilisées contre toute augmentation excessive des positions spéculatives sur les marchés prises directement par les banques ou permises par l’accroissement des financements qu’elles accordent à d’autres d’institutions financières moins ou pas régulées.

Alors que le ratio contracyclique touchera de façon indifférenciée tous les établissements, y compris les plus vertueux, les réserves obligatoires permettent de ne cibler que ceux qui sont à la source des dérapages et ce avec, si souhaité, une forte progressivité des taux autrement plus contraignante qu’un ratio de fonds propres « flat » allant de 0 à 2,5 %. D’ailleurs ces 2,5%, au maximum, n’empêcheront pas la poursuite des dérapages par ceux qui y trouveront toujours leur compte. Il leur suffira de procéder à une augmentation de capital ou, même mieux, de traiter cette exigence locale comme quantité  négligeable… Ce qui sera facile pour une très grande banque dont l’activité du pays considéré ne représente que quelques pour cents de son activité mondiale et beaucoup moins pour une banque aux engagements relevant essentiellement du pays considéré. En outre, le suivi en sera très difficile en Europe avec une surveillance prudentielle assurée par les pays d’origine et non par le pays d’accueil concerné.   

Les réserves obligatoires permettent des frappes chirurgicales très efficaces car très ciblées. C’est tout le contraire avec le « volant contracyclique » qui touchera tout le monde sans être réellement dissuasif. Il est regrettable de demander au prudentiel de mener, avec un outil nettement moins performant, une action qui revient aux banques centrales.

Ce recours aux règles de fonds propres ne serait-il pas qu’un pis-aller traduisant l’échec des réflexions des banques centrales sur l'adaptation des politiques monétaire aux cycles financiers ?



Cet article a servi de base à un article de Diogène paru sur Slate.fr, le 20/12/2010, sous le titre "Vive les réserves obligatoires"
http://www.slate.fr/story/30027/banques-reserves-obligatoires-bale

en savoir plus sur Diogène :
http://www.slate.fr/source/diogene

Note :

jeudi, 17 juin 2010

Comment éviter une nouvelle Grande Dépression



par Nouriel Roubini - Le Cercle Les Echos- publié le 16/06/2010

Les hommes politiques du monde ne cessent de débattre pour savoir quand et comment sortir des importants plans de relance monétaire et budgétaire qui ont permis d’éviter que la Grande Récession de 2008-2009 ne devienne une nouvelle Grande Dépression. L’Allemagne et la Banque Centrale Européenne voudraient instaurer rapidement l’austérité budgétaire ; les Etats-Unis s’inquiètent des risques qu’entrainerait une consolidation budgétaire opérée beaucoup trop rapidement.

Ne pas mettre en place de telles mesures coordonnées pourrait entrainer un rebond très dangereux et dommageable de la récession dans les économies avancées.

mon commentaire :

De deux choses l'une, ou notre très honorable Professeur et auteur se trompe lourdement ou ce sont les gouvernements sous la pression très forte des marchés. Pratiquement aucune des préconisations qu'il émet pour les sept cas qu'il a répertorié ne peut être mise en force dans le contexte existant et les politiques engagées. A moins que ce ne soit qu'une liste de voeux pieux.

Reprenons de façon très rapide et un peu schématique les 7 cas présentés par le Professeur Roubini :

1er cas : faciliter la politique monétaire : comment pourrait-elle l'être avec des taux de refinancement de banques centrale proches de zéro et les vannes grandes ouvertes pour des refinancements qui auraient fait hurler il y a encore 3 ans; et ce avec des marchés qui y ajoutent des spreads parfois très élevés qui ne peuvent être maitrisés;

2ème cas:   relance et consolidation budgétaires sont incompatibles avec  les niveaux d'endettement public Japonais et US, avec une épargne nationale déjà mobilisée au maximum pour le premier (95 %) et une épargne nationale faible pour le second, avec de surcroît une dette privée très élevée comme au Royaume-Uni dont la dette publique très faible à presque doublé en 2 ans;

3ème cas:  l'Allemagne et quelques autres pays avoisinant ne veulent pas relancer et même freinent et la Chine peut vouloir réduire l'épargne de précaution, il lui faudra des années pour que cela se traduise de façon significative par plus de consommation intérieure; quant à dans une réévaluation de la monnaie chinoise ...

4ème cas: pour la réévaluation des monnaies il n' y a pas de candidat et la BCE ne peut pas faire plus pour laisser filer l'euro : ses rachats directs de dettes publiques sont le point ultime de ce qu'elle peut faire. Et à la moindre remontée des prix (via les matières premières elle pourrait remonter (faiblement sans doute) ses taux ;

5ème cas: Je ne connais pas de pays dont la dette privée baisse très fortement - mais je manque sans doute de sources d'informations- . Des grands pays il n'y a qu'aux USA où il y a une baisse infinitésimale et toute relance budgétaire réveillerait "les vigiles des marchés obligataires encore assoupis" pour reprendre la belle formule de M. Roubini.

6ème cas :ce point peut effectivement être actionné mais retarder ou échelonner les exigences de fonds propres, de ratio de levier ou de liquidité n'empêchera pas le monde financier (acteurs, observateurs, investisseurs) d'anticiper la baisse des rendements futurs qui en découleront et la prudence dans la distribution du crédit restera de mise;

7ème et dernier cas: La restructuration de dettes à la manière des pays en développement, tels qu'opérés avec l'intervention du FMI ne peut pas être joué sans risque dans la zone euro , comme dans l'ensemble de l'Union Européenne d'ailleurs.  La  crédibilité de la zone euro serait assurément touchée car la "périphérie " s'étend toujours un peu plus à des pays nouveaux de la zone ou de l'Union; la prime de risque augmenterait notablement et appliquée sur la partie à renouveller dans les 3 à 4 ans de dettes publiques et privées serait d'un coût considérable tant financièrement (elle pourrait toucher en moyenne une dette représentant 80 à 100 % du PIB vu le niveau de dettes globales voisines ou supérieures à 200 % du PIB.) que psychologiquement sur les anticipations des acteurs.

Quant au FMI, à l'Union Européenne leur soutien est tout sauf généreux ; à preuve les taux faits à la Grèce avec de surcroît la fixation d'un échéancier très difficile à respecter... échéancier que d'ailleurs toute l'Europe se donne à elle-même pour revenir dans les limites des 3% - alors que ces 3% n'avaient aucunement intégré la survenance d'une crise de l'ampleur de celle qui a commencé en août 2007 et qui continue.

M. Roubini a pourtant complètement raison de demander des politiques coordonnées pour éviter "un rebond de la récession" , mais c'est l'exact contrepied de tout ce qui se fait.

Il faudrait donc partir de ces données - on ne voit pas les Etats faire volte-face dans les mois qui viennent - et trouver d'autres bases de consolidation de l'activité économique.

C'est un thème majeur qui ne peut être abordé là. Enonçons seulement deux points.

1- Déclarer pendant qu'il en est encore temps qu'il n'y aura pas de remontée significative des taux pendant 18 mois, 2 ans ( la chance actuelle dans notre surendettement est que les intérêts payés restent supportables et que toute remontée serait dramatique sur ce point et par le fait qu'elle générait également des moins-values sur toutes les obligations qui sont supérieures à une fois et demie le PIB mondial !) .

2-  Ceci n'est possible que si les banques centrales prennent le taureau par les cornes pour casser tout  emballements de prix sur matières premières, énergie et autres produits alimentaires par l'imposition de réserves obligatoires extrêmement élevées sur toute augmentation des positions spéculatives prises par les banques directement ou indirectement par le biais d’institutions financières, hedge funds ou autres fonds de gestion collective.

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