article publié sur LinkedIn le 02/07/2020
La crise entre la Cour de Karlsruhe et la BCE est maintenant terminée, la BCE acceptant de communiquer le contenu détaillé de ses comptes rendus des réunions de politique monétaire à la Bundesbank qui appréciera la proportionnalité du programme de rachat d'obligations au regard des effets secondaires sur les économies et les politiques budgétaires des Etats. Cette crise terminée, il est grand temps que la BCE change son argumentaire pour asseoir la politique monétaire qu'elle déploie.
Si l'objectif poursuivi, un taux d’inflation inférieur mais proche de 2% supposant de recourir à des moyens non conventionnels pouvait être avancé en 2014-2015 lorsque la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe fut saisie par des plaignants allemands, il ne l'est plus aujourd’hui. Or la BCE continue à le répéter à tout bout de champ comme un mantra - surtout au lendemain de la décision du 5 mai de la Cour de Karlsruhe d'ailleurs ! -
La BCE expliquait et explique toujours qu'il est nécessaire d'acheter massivement des obligations publiques des pays membres sur le marché secondaire pour maintenir des taux longs très bas et les moins différents possibles entre pays et pour que ces taux aient un effet sur les prix, " ceux-ci devant converger vers un niveau suffisamment proche, mais inférieur à 2 % ".
Aujourd'hui la conjonction des effets économiques et financiers durablement négatifs du Covid-19 et les besoins considérables et incontournables de la transition économique, font que l'objectif de 2 % d'inflation est totalement inopérant, presque dérisoire au vu des défis majeurs que la zone euro a à relever.
" Tout le monde savait que cette absurdité était une mauvaise excuse pour éviter d'enfreindre formellement les règles. Tout le monde savait que l'objectif était d'empêcher les banqueroutes d'États et de maintenir le taux d'intérêt de leurs obligations à un niveau supportable." Andréas Fisahn " Karlsruhe et les rachats d'obligations de la BCE." traduit et publié dans la Revue "Les Possibles" n°24 -Eté 2020. L'auteur aurait pu y ajouter l'objectif de maintenir la stabilité du système financier (système bancaire et marchés de dettes) qui incombe à toutes les banques centrales.
Pour rester crédible, il est temps que la BCE réajuste son argumentaire par rapport à son action pour que, sans renier sa mission première de maintenir la stabilité des prix, elle mette en avant deux autres missions qui lui incombent au vu même des textes qui la régissent.
En effet l'article 127 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne énonce les prérogatives de la BCE et stipule :
« L’objectif principal du Système européen de banques centrales, ci-après dénommé « SEBC », est de maintenir la stabilité des prix.
Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union, tels que définis à l’article 3 du traité sur l’Union européenne ( à savoir) : l'Union œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement."
Ce même article 127 ajoute, deuxième mission, " Le SEBC contribue à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier."
En ces temps de risques d'inflation très faibles mais aussi de quasi absence de risque de chute du niveau général des prix (mais pas des PIB en volume !), la BCE ne peut pas se focaliser sur les 2% alors que les défis à relever sont sans précédent en temps de paix.
D'objectif premier, la stabilité des prix doit devenir second par rapport à la stabilité du système financier (soubassement de tout fonctionnement économique et social) et par rapport au soutien aux politiques économiques et financières globales menées dans l'Union et avec le concours de l'Union.
Politiques monétaires et budgétaires -surtout depuis que l'UE s'est engagée financièrement en tant que telle pour des montants inenvisageables il y a quelques mois encore- doivent marcher de conserve dans le soutien des pays sans que pour autant la BCE se substitue à la responsabilité politique des gouvernements et initie des politiques d’offre et/ou de demande à la place des gouvernements.
Les Etats, partout dans le monde et à tout moment dans l'histoire moderne, sont les prêteurs en dernier ressort quand tous les agents économiques privés sont très fortement affaiblis. Les banques centrales le sont aussi, mais en seconde main, pour autant que la stabilité des prix, la robustesse du système financier et la crédibilité en la monnaie à court et moyen terme ne sont pas mis en danger.
L'UE est actuellement et pour plusieurs années dans cette configuration, ne nous cachons pas la réalité.
La clarté aidera à la responsabilité et il vaudrait mieux que la BCE explique sa politique de soutien aux économies (dont les Etats), au système financier et à la monnaie, le cas échéant, plutôt que de continuer à se cacher derrière le petit doigt de l’objectif des 2 % qui actuellement a perdu toute signification.
Ce nouveau paradigme doit être affiché et défendu par la BCE. Elle le ferait en rappelant solennellement que lorsque des risques inflationnistes menaceront à nouveau la zone euro et/ou la viabilité de l'euro, l'objectif de la stabilité des prix reprendra tous ses droits.
Le 12 décembre dernier Mme Lagarde a annoncé que la BCE allait engager une revue stratégique du cadre de sa politique monétaire et qu’elle devait aboutir avant la fin de 2020 ; ce sera sans doute quelques mois plus tard vu les circonstances. La Présidente de la BCE affichait ainsi dès décembre qu’elle était consciente que la BCE devait réécrire son logiciel. Mieux vaudrait qu’elle ne tarde pas, la crédibilité de son action et la clarté de sa communication n’en seraient que plus grandes.
jeudi, 2 juillet 2020
Après Karlsruhe la BCE doit changer sa communication
Par Michel Castel le jeudi, 2 juillet 2020, 12:06 - Articles