L’idée selon laquelle la BCE devrait assurer un refinancement
illimité des dettes publiques de la zone euro se répand. Elle peut finir
par s’imposer faute actuellement d'un autre moyen crédible d’éviter des
défaillances en chaîne de pays membres, mais elle n’est pas souhaitable
pour autant. On comprend sur ce point les très fortes réticences
allemandes et on ne croit pas que les marchés s’en satisferont après
coup. En effet, après avoir épuisé la signature des Etats pour les
sauver, ils n’hésiteront pas à faire payer le fait qu’il n’y a cette
fois plus aucun autre prêteur en dernier ressort dans la zone euro et
que celle-ci, mais aussi toute l’UE, est en sursis.
Tout aussi grave est le fait que la BCE essaiera nécessairement de
réduire drastiquement et rapidement cette situation de surexposition aux
risques souverains pour essayer de restaurer sa crédibilité et éviter
de se voir paralysée dans la conduite de la politique monétaire pour les
années à venir en raison de conflits d’objectifs. Enfin, et cela n’est
pas moins grave à terme, cela empêche de construire dès maintenant le
bon dispositif qui devrait durablement prévaloir pour le refinancement
de l’économie par le Système Européen de Banques Centrales (SEBC), par
delà ce qui se fait depuis des décennies en période calme (c’est à dire
hors mesures non conventionnelles mises en place depuis mi 2007).
Ce dispositif aurait un double objectif : comment établir des
relations saines et durables entre les Etats et la BCE d’une part,
comment assurer le financement de la croissance de façon saine en
favorisant de façon énergique la transition écologique indispensable à
la viabilité de nos sociétés à moyen terme et, en fait, à toute la
planète d’autre part ?
Premier objectif : les relations Etats –BCE
Connaissez-vous une très grande entreprise qui vive sans banquier(s) ?
Non ! Et bien détrompez-vous, il y a les Etats de la zone euro ! Dans
tous ces pays, l’Etat, la première entreprise par ses missions, son
chiffre d’affaires, ses effectifs et son rôle d’entraînement de tout le
tissu économique et social n’a pas de banquier ! Pas une facilité de
caisse, pas un découvert, pas un crédit confirmé !!
Entre le recours sans borne à la planche à billets et l’interdiction
pure et simple de tout concours directs de la banque centrale (en
France depuis la loi du 3 janvier 1973 sur la Banque de France et dans
toute la zone euro depuis la création de l’euro) , il y a assurément un
besoin urgent de déplacer le curseur.
Ne faudrait –il pas réfléchir à un financement par le SEBC de ce qui
pourrait correspondre à des besoins de fonds de roulement des Etats,
comme cela se fait pour les entreprises, pour couvrir les décalages
infra annuels entre recettes et dépenses, pour éviter des retards de
paiement des fournisseurs et les jonglages de trésorerie que doivent
faire les différents Trésors, tout particulièrement dans les périodes
les plus troublées sur les marchés? Un à deux mois maximum de facilités
par rapport au budget annuel pourrait être un ordre de grandeur
raisonnable. Ce refinancement pourrait se faire au taux que la BCE
retient pour le refinancement des banques à 3 mois. De façon très
grossière, et selon les pays, cela pourrait avoisiner, sans le
dépasser, 1% à 1,5 % du PIB pour un mois et 2 à 3 % pour 2 mois.
Second objectif : financer la transition écologique
Différents travaux estiment qu’il faudrait investir annuellement 2 à 3
% du PIB pendant plus d’une décennie (cf. une étude 2011 du Programme
des Nations Unies pour l’environnement, une Communication de la
Commission européenne de 2011 également…) pour relever les défis
écologiques de la planète. A ce titre, les Etats doivent être partie
prenante comme amorceur et/ou catalyseur des investissements les plus
lourds financièrement ou les plus longs en temps de retour, aux côtés du
secteur privé.
Selon la Fondation pour la nature et l'homme, la France par exemple,
aurait besoin de 600 milliards d'euros d'investissement en dix ans pour
assurer sa transition écologique. Cette fondation a proposé de "mettre
la création monétaire au service de cette transition" en permettant aux
Etats européens d'emprunter auprès de la BCE à des taux faibles ou nuls –
cf un récent article dans le Cercle-Les Echos. Je reprends ici cette
proposition en cherchant à lui donner corps de façon certes limitée
mais, me semble t-il, acceptable.
Cet objectif devrait déjà être le principal volet « soutien de la
croissance » indispensable à la réussite des plans de rigueur
actuellement mis en œuvre alors qu'il manque toujours. Cela vaut pour
tous les pays de la zone euro bien sûr mais tout autant pour les autres
pays de l’Union… Malheureusement ces derniers n’ont pas accès à la BCE
...sauf s’il y avait une avancée très ciblée en ce sens en tant que
pays associés- ce qui serait éminemment souhaitable pour éviter de
creuser le lit d’une Europe à deux vitesses.
Dans ce cas, les Etats agissant comme des banquiers qui financent des
investissements il serait tout à fait légitime et sans risque
d’inflation de leur permettre un refinancement direct auprès de la BCE
pour ces investissements dans la limite de 1 à 1,5% du PIB (soit la
moitié des besoins globaux) et ce aux taux qu’elle pratique pour le
refinancement du système bancaire.
Mais le succès d’un tel plan et l’importance des capitaux à mobiliser
supposent aussi l’implication du secteur privé amené de ce fait à
faire appel au crédit ou à des émissions de titres de dettes et donc
impliquant fortement le secteur bancaire. Des partenariats public-privé
seraient aussi à encourager dans ce processus.
Mais compte tenu de la situation actuelle des banques, des nouvelles
contraintes prudentielles sur les concours longs, de la faible
rentabilité des fonds propres alloués à de tels emplois, celles –ci
seront très en retrait pour ne pas dire fortement réticentes à
s’impliquer.
Leur donner un accès à un refinancement systématique auprès de la
BCE à un taux privilégié, (par exemple à seulement 66% des taux de
refinancement en vigueur par la BCE), pour ce type de concours pourrait
changer la donne. Ces deux avantages contrebalancerait l’effet très
fortement négatif des exigences nouvelles de liquidité et de
renforcement de fonds propres qui sont imposés par Bâle III.
Les banques centrales nationales parties prenantes au SEBC, ou un
organisme ad hoc pour les pays où les banques centrales ne se sont
jamais investies dans l’évaluation du crédit et/ou des entreprises
(contrairement à la Banque de France), s’assureraient qu’il s’agit bien
de financements conformes aux orientations et aux grandes
caractéristiques d’investissement définies dans chaque pays, eux-mêmes
étant la déclinaison d’un plan d’ensemble arrêté au niveau européen.
C’est un dispositif qui permettrait d’enclencher la transition
écologique dès maintenant malgré les plans de redressement qui
contraignent fortement les projets d’investissements et qui pourrait
fonctionner durablement.
Redonner aux Etats de la zone euro un banquier qui les accompagne
dans le quotidien de façon limitée mais sûre d’une part, et permettre,
d’autre part, un refinancement privilégié pour les Etats comme pour les
banques des investissements permettant d’assurer la transition
écologique n’est que redéfinir un fonctionnement rationnel d’une partie
de la création monétaire au profit de quelques-uns des très grands
enjeux des décennies à venir. Cela sans supprimer pour autant l’appel
classique aux marchés de capitaux et à, disons-le, leur surveillance
souvent bénéfique mais aussi parfois excessive, irrationnelle et très
dangereuse.
Et le risque d’inflation dans tout cela ? Il n’y a aucune raison
qu’il y ait des effets de contagion d’une éventuelle euphorie dans les
secteurs du développement durable sur les autres secteurs et sur les
prix. Et de plus, ce sont des investissements sources de nouvelles
innovations, réducteurs de coûts et d’externalités généralement non
prises en compte mais qui finissent par se payer. En un mot, ce sont des
investissements vertueux que la création monétaire, limitée,
directement ou indirectement réalisée via la BCE peut et doit soutenir.
Rien à voir avec un refinancement à l’aveugle habituellement pratiqué
par les banques centrales et qui peut contribuer à certaines périodes à
la spéculation sur l’énergie, les matières premières ou agricoles , les
devises … Et enfin ,pour nos amis allemands, opposés aux interventions
de la banque centrale dans le financement direct des dettes publiques,
on pourrait leur rappeler que pour le volet financement de la transition
écologique, c’est en quelque sorte réactiver très modestement leur
pratique du réescompte abandonnée, contre leur gré, lors de
l’instauration de l’euro. Réescompte qui assurait près de 85 % du
refinancement des banques allemandes jusqu’à la fin des années 90 ; et
ce avec une totale maitrise de l’inflation !
Reprise d'un résumé complété sur le site du Figaro le 18/11/2011 en commentaire de l' article "
Les-Européeens se divisent à nouveau sur la Bce"Les
Etats de la zone euro ont besoin d'un banquier qui ne peut être que la
BCE pour les accompagner dans le quotidien de façon limitée mais sûre à
hauteur de 1 à 2 mois maximum du budget annuel. Il faut aussi permettre
un refinancement privilégié pour les Etats et pour les banques qui
financent les investissements de la transition écologique indispensable
pour soutenir la croissance et commencer à traiter les grands enjeux
environnementaux et énergétiques des décennies à venir.
Voir l'article que j'ai publié sur
http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique-eco-conjoncture/politique-economique/221140041/bon-usage-refinancement-bc