Article publié sur Linkedin le 17/10/2018
Dès
2019 la transition énergétique et climatique peut bénéficier d'un refinancement
allant jusqu'à 130 milliards d'euros auprès de la BCE !
La BCE va en effet réinvestir 130 milliards
d'euros en 2019 correspondant aux remboursements à échéance des obligations
qu'elle a achetées dans le cadre des interventions non conventionnelles dites
du "quantitative easing"(QE).
Pourquoi ne pas en réinvestir l'essentiel dans des projets contribuant à la
transition énergétique ? Il y a là une formidable opportunité de faire avancer
très significativement la transition énergétique et climatique, le traitement
de la pollution et des déchets.
C'est une action qui pourrait être engagée avant
l'été 2019 pour les pays de la zone euro. En effet, alors que la BCE
arrêtera en décembre son programme de rachat d'obligations publiques et privée
réalisé dans le cadre du QE elle a déclaré le 13 septembre dernier que le
montant des obligations ainsi achetées et arrivant à échéance en 2019 sera
réinvesti en titres public mais aussi en titres privés, sans autre précision;
et cela comme l'avait fait la Fed entre 2014 et octobre 2017 après avoir
mis fin à son propre QE.
C'est cent trente milliards en 2019 et autant
sinon plus pendant plusieurs années, le stock des titres du Système Bancaire
Européen -SEBC- à amortir s'élevant à 2 500 milliards d'euros, à moins que
celui-ci ne décide un jour d'arrêter ce dispositif avant son terme.
Ces cent trente milliards d'euros pourraient ainsi
être le plafond théorique des refinancements verts retenu pour ce remploi des
titres arrivant à échéance. Mais outre son aspect politiquement provoquant pour
les adeptes du laisse-faire, ou de la neutralité quand on parle de la politique
monétaire à la BCE, il n'est pas nécessaire d'envisager un plafond aussi élevé
pour faciliter le financement des énormes besoins de financement verts existants.
En effet, l'union Européenne estime que pour les
28 pays de l'Union il y a un besoin de 177 Milliards d'euros par an
d'investissements additionnels pour atteindre les objectifs 2030 énergie et
climat. Le montant est donc moindre pour les 19 pays de la zone euro.
Le plafond de 130 Mds de refinancement n'est ni
nécessaire ni souhaitable, et ce pour deux raisons. La première est que les
porteurs de titres verts voudront très certainement en conserver une part très significative
tant par choix de portefeuille que pour respecter notamment leurs engagements de
type ISR (investisement socialement
responsable) correspondant de plus en plus à la demande des épargnants. La
seconde est de ne pas perturber inutilement le marché obligataire
classique, déjà bousculé actuellement. Pour ce faire il est souhaitable de lui
laisser une fenêtre d'accès au refinancement BCE significative.
Au vu de ces deux facteurs qui doivent être pris
on considération on avancera, puisqu'il faut bien avancer un chiffre, celui de
85 Mds de refinancement vert pour 2019, soit environ 66 % des 130 Mds actuels (chiffre qui n'inclut pas le refinancement
habituel de la Banque Européenne d'Investissement (BEI) auprès de la BCE et qui
comprend déjà des concours verts).
Au prorata des parts des pays dans le capital de la BCE cela donnerait un plafond de refinancement de 12,1 milliards pour la France, de 10,5 pour l'Italie et de 15,3 milliards pour l'Allemagne.
Pour tenir compte du temps nécessaire pour une montée
en puissance de ces financements verts
(notamment de petits crédits verts titrisés, indispensables pour financer de
petits projets par ailleurs forts utiles), la BCE devrait étudier la
possibilité de mobiliser des titres verts déjà émis assez récemment (un an par
exemple ?). A elle de placer le curseur pour à la fois amorcer le processus et
laisser une place suffisante aux nouveaux financements et ce compte tenu du
calendrier de ses tombées.
Reste à définir les critères d'éligibilité de
ces titres verts sous forme d'obligations d'une part (obligations vertes, obligations climat, obligations durables ou
sociales connues sous des appellations comme " green bonds " et "
social bonds " notamment ) et sous forme de titres négociables
représentatifs de crédits verts titrisés- " asset backed securities "- d'autre part. C'est une question
suffisamment complexe et clivante pour qu'à elle seule elle fasse capoter un
tel dispositif ! Le risque étant, bien
sûr, le green washing.
Néanmoins, vus les standards arrêtés sur le plan
international, vu les exigences des
marchés des " green et social bonds " - même si des progrès restent à
faire-, vu ceux des" asset backed
securities " et vu tout le soubassement intellectuel et statistique déjà
disponible à travers les nombreuses études et travaux on peut considérer qu'il
y a déjà ou il peut y avoir quasi immédiatement un environnement de nature à éviter
des détournements manifestes. On citera les travaux européens : Le 24 avril
2018, la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement
Européen a publié un rapport sur la finance durable qui servira de base de
discussion à la Commission européenne pour un projet de directive sur la finance
verte. On citera également ceux du Conseil de la stabilité financière sur la
publication d'informations financières relatives au climat (TCFD) et ceux
portant sur les ratios prudentiels visant à alléger les besoins en fonds
propres pour les catégories de financements reconnus comme verts ( " green
supporting factor ").
En plus de ces cadrages institutionnels et/ou de
marché, il ne faut pas oublier le rôle des analystes financiers de marché, des
organismes labellisant ces produits, celui des ONG et des associations engagées
dans la lutte pour la transition énergétique et climatique pour réduire les
risques de dérapages; sans parler de
l'effet très dissuasif du risque de détérioration d'image pour des émetteurs
qui se révéleraient peu scrupuleux.
Dans un terme un peu plus éloigné, il serait
hautement souhaitable que pour les financements assurés par la voie du
crédit (source souvent unique d'accès au financement pour les PME, les petites
et moyennes collectivités locales, les associations et bien sûr les
particuliers) un volet de réescompte soit ouvert. Ce serait utiliser la
technique du réescompte qui pendant très
longtemps (et même jusqu'à la fin des années 90 en Allemagne) fut le support du
refinancement structurel des banques auprès de leurs banques centrales. Réescompte
de portefeuilles de crédits verts qui éviterait le détour coûteux de la titrisation
et une marchéîsation inutile.
Un dernier point, mais essentiel. L'annonce
d'une telle politique par les autorités monétaires devrait être assortie de
l'engagement d'en faire une politique durable et structurelle du refinancement
des banques et des marchés pour dix ans; prorogeable si souhaitable.
Il est d'autant plus important d'amorcer rapidement un
tel dispositif que les risques d'une crise financière sévère se font de plus en
plus présents et que si celle-ci éclate les financements de projet innovants
et/ou à horizon de moyen - long terme seront repoussés à des jours meilleurs,
comme cela a toujours le cas dans de telles situations. A l'évidence les
financements de la transition énergétique et climatique en feraient partie.
Ainsi, hormis le ciblage des refinancements par
le BCE au lieu d'un refinancement à l'aveugle, le dispositif préconisé
s'inscrit complètement dans la politique actuellement menée par les autorités
monétaires. En outre, elle ne fait que décliner une des missions de la BCE
- article 2 des statuts du SEBC "
Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien
aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à
la réalisation des objectifs de la Communauté, tels que définis à l’article 2
du traité (devenu l'article 3 de
l'Union) :
(... ) " L'Union établit un marché
intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une
croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie
sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au
progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la
qualité de l'environnement".