article de David Thesmar et Augustin Landier- Blog DFCG- Le blog du directeur financier - 13 juillet 2011
Dans l’économie moderne, réguler c’est rassembler de l’information, puis
la diffuser le plus largement possible. La crise financière de 2008 est
selon nous l’illustration de ce principe. Car nous analysons cette
crise comme une crise de l’opacité. Dans un secteur comme la finance, où
la production et le traitement de l’information sont au cœur du métier,
l’opacité a des effets catastrophiques. Aux États-Unis, les patrons de
banques et les régulateurs en charge de les surveiller ont laissé filer
le niveau de complexité du système financier...
mon commentaire :
Les auteurs disent analyser la crise actuelle « comme une crise de l’opacité ».
Et de citer notamment Robert Rubin disant « qu’il était impossible de
savoir l’ampleur des risques pris sans être dans la salle de marchés ».
Et bien non, je dirai que derrière l’opacité -et la complexité- invoquée
comme cause de la crise se cache en fait la volonté du plus grand
nombre de ne pas voir, de ne pas savoir, selon l’adage bien connu qu’il
n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
Qu’on ne dise pas que les dirigeants et les principaux responsables de
banques, de fonds d’investissement ou d’assurances ne savaient pas ce
qui était derrière la source majeure des résultats de leur entreprise,
de la valeur de leurs stock- options et de leurs bonus ? Tant que
c’était hyper profitable, ils ne souhaitaient s’interroger. Les
autorités de marché, les superviseurs et les banquiers centraux ne
savaient pas la dérive phénoménale de Ia montée généralisée des
endettements et des effets de levier l’accompagnant ? Bien sûr que si.
D’ailleurs, si le 9 août 2007 chacun des grands groupes bancaires n’a
plus voulu faire confiance à personne sur le marché interbancaire c’est
que chacun savait ce qu’il avait comme risques dans son fonds de
commerce et qu’il savait que tous ses confrères en avaient autant dans
le leur. C’est bien pour cela que les banques centrales sont
intervenues aussi rapidement et aussi massivement dès ce jour-là. On
pourrait multiplier les exemples. Certes les économistes manquaient sans
doute d’informations financières fines pour tirer les sonnettes
d’alarme ; encore que, s’ils avaient été attentifs aux chiffres de la
BRI, à ses commentaires et ses rapports annuels ; aux données
financières et comptable des agences américaines Fannie Mae et Freddie
Mac depuis début 2005… ils auraient pu exprimer des inquiétudes fortes.
Non, si les acteurs, les analystes et les observateurs en tout genre
n’ont pu vu les éléments de montée inexorable des risques c’est qu’ils
ne voulaient pas les voir. Tous étaient en effet convaincus que les
marchés étaient le canal optimum de l’allocation des capitaux et de la
gestion des risques. Même s’ils ne l’étaient pas intimement ils ont agi,
régulé, supervisé, commenté, comme s’ils l’étaient. Ceux qui
dénonçaient la fuite en avant dans la dette publique et privée, la
procyclicité de la comptabilité et des ratios prudentiels, la trop
grande déconnexion du réel et du financier, la dissémination des
risques auprès d’entités non régulées, ceux-là étaient considérés comme
des passéistes et/ou des régulationnistes attardés. D’ailleurs, la
croissance mondiale était là pour les contredire ; jamais autant
d’argent n’avait été aussi bien employé aux quatre coins de la planète,
disait-on…
Tous munis de bonnes informations les choses changeraient-elles ?
Il me sera permis d’en douter. .. Ne serait-ce qu’au vu de ce qui
continue à se passer. On sait (presque) tout sur tout après les stress
tests, le décorticage des dettes publiques et de leurs porteurs, sur les
principaux opérateurs sur CDS, … et on ne peut pas dire qu’il y ait de
meilleures analyses sur l’agir à très court terme ou sur le souhaitable à
moyen-long terme.
Certes les auteurs ont parfaitement raison de demander à ce que
davantage d’informations soient publiées… et des informations
pertinentes. C’est un élément important pour limiter les risques de
capture du régulateur très justement signalé, comme celle du
législateur et des politiques en général. On ne peut que les rejoindre
sur ce point. Mais de là à penser que cela serait la panacée, c’est un
pas que je ne franchirai pas.
Tant que les analyses portant sur le bon usage de la finance moderne
resteront aussi simplistes, voire aussi biaisées (le « tout marché »
pour les uns, le presque tout financier interdit ou très corseté pour
les autres) on peu douter de la bonne utilisation qui pourra être faite
des données publiées. Des réflexions majeures sur les conditions d’une
bonne articulation intermédiation bancaire-marchés sont notamment à
mener d’urgence. Tant que les puissants intérêts en place prévaudront
(et sur ce point le lobby bancaire américain est très remarquable), ils
sauront convaincre qu’on ne peut faire autrement, sauf à tuer la
croissance. Si ce n’est les mêmes, d’autres diront enfin, plus
réalistes ou plus cyniques, que de tout façon, bonne régulation ou pas,
bonne information ou pas, les crises sont inéluctables, voire
souhaitables car accoucheuses de forces nouvelles.