Le Cercle Les Echos - 22/06/ 2010
Pour sauvegarder l'unité de la zone euro et redresser la situation de pays d'autant plus touchés par la crise qu'ils avaient déjà avant celle-ci une dette publique ou privée très forte, le FMI et les pays membres de la zone euro (plus deux) déploient soutiens financiers considérables et s'engagent tous dans des plans de rigueur conséquents. Cela suffira t-il ? Ne faudrait-il pas aussi engager une restructuration de la dette publique des pays dont la situation est la plus dégradée financièrement? Est-ce possible, est-ce souhaitable ?
"Europe : échange dette "bleue" et dettes "rouges" contre réformes". Sous ce titre, Jacques Delpla développait il y a quelque temps une proposition que l'on pourrait résumer schématiquement dans les termes suivants.
La crise actuelle de la zone euro est d’abord et avant tout une crise de compétitivité des pays périphériques, dont les prix, salaires et coûts ont augmenté beaucoup plus que leur productivité. Pour leur donner du temps et des chances de succès, l’auteur, Jacques Delpla, propose un échange de leur dette publique en dette senior (Bleue) et en dette junior (Rouge), sans paiement d’intérêt pendant 10 ans sous condition de réformes majeures. En contrepartie, les pays de l’UE (Allemagne et France surtout) accepteraient de garantir la dette Bleue des pays dits "périphériques". Les pays garants auraient un droit de veto sur les soldes budgétaires de ces pays tant que leur dette Bleue zéro coupon ne sera pas remboursée, ainsi qu’un droit de regard sur les réformes structurelles.
L’idée est séduisante, elle fait penser à un plan de redressement pour une entreprise en difficulté.
Dans de tels plans les créanciers doivent accepter des reports d’intérêt et/ou des réductions de taux, voire des réductions de dettes. Les dirigeants doivent parfois modifier une partie de l'actionnariat, mais toujours changer de politique, trouver de nouveaux débouchés et produits, réduire très fortement les coûts dont essentiellement les charges sociales par compression des salaires et allègement des effectifs suite à la recherche de gains de productivité et le fait que le chômage partiel ne suffit généralement pas à traiter les sur-effectifs et les reconversions qu’ils créent et que le temps de la conversion réussie est forcément long.
Sauf qu' ici il ne s’agit pas d’une seule entreprise (ici un seul Etat) mais de plusieurs (entreprises ou Etats) qui sont en difficulté et dont ne sait même pas si de nouvelles entités ne pourraient à leur tour le devenir assez rapidement ; les difficultés cantonnées à la périphérie du groupe se rapprochent dangereusement des entreprises (des Etats) qui en constituent le centre. Et ce groupe est en fait un conglomérat qui s’est constitué, assez classiquement comme la plupart des conglomérats, progressivement, au fil des évènements, des opportunités ou même des menaces. Un conglomérat très disparate aux échanges intra-groupes importants, aux positionnements vis-à-vis des marchés extérieurs très contrastés et dont finalement l’actionnariat ultime (les responsables) est (sont) incapable(s) d’avoir une politique s’imposant aux différentes baronnies (ici sûrement légitimes d’ailleurs) que constituent ces entreprises (Etats) qui au fil du temps se sont maintenues, voire se sont renforcées. Au point que devant les efforts énormes à consentir pour sauver le groupe, certaines entités les plus importantes et les plus solides et leurs dirigeants se demandent, ou pourraient se demander, si finalement il ne faudrait pas s’alléger de plusieurs de ces entreprises (Etats).
Le tout est à traiter de surcroît sans la présence d’un tribunal puissant pour aider à l’élaboration et à l’acceptation d’un plan de redressement ; un tribunal sous l’autorité duquel tous les créanciers seraient contraints d'accepter les plans d'apurement et de redressement élaborés en concertation avec la majorité des créanciers et validés par ce tribunal. On voit difficilement ce rôle joué par le FMI alors qu’il ne peut même pas le faire dans les pays en développement malgré une trentaine d’années d’interventions.
Comment espérer voir les sociétés périphériques se remuscler quand le cœur du groupe va réduire les achats de biens et services qu’il effectuait précédemment, que les autres clients (pays) habituels sont en train de réduire les leurs pour réduire leurs déficits publics et de balance commerciale? Et cela sans pouvoir baisser les prix à l’exportation (fixité de la monnaie, l’euro) et en supportant des prix augmentés à l’importation (suite à la baisse du pouvoir d’achat décrété –dévaluation interne-) et ce, d’ailleurs sur une assiette fortement élargie puisque portant aussi sur les importations intra-groupe (intra-européenne, c’est à dire par rapport aux pays du centre). La dévaluation interne décrétée ne peut se traduire que par une baisse très forte de la masse salariale (20 à 25 % ) et par des réductions d’effectifs qui, contrairement au secteur privé, dont la charge ne peut pas être reportée sur la collectivité, puisque dans le cas des Etats, ils sont cette collectivité ! Les dettes publiques et sociales y perdront en assiette imposable, et la baisse autoritaire des prix est plus facile à décréter et à appliquer aux salaires publics voire au secteur privés qu’à faire respecter pour la plupart des prix à la consommation mais aussi pour les mensualités de crédit accession à la propriété ou à la consommation pour ne parler que des ménages. Comment réduire ces charges d’intérêt vis-à-vis de banques qui ont beaucoup emprunté à un taux donné sur les marchés auprès de résidents mais aussi de non résidents pour accorder ces crédits aux ménages mais aussi aux entreprises: la dette internationale privée serait-elle aussi touchée ?
Comment espérer voir des créanciers faire massivement l’échange de titres préconisé – 40% de décote, les 60% restants assortis d’intérêts différés mais garantis par un (ou deux ?) chef(s) de file dont on rappelle que le plus important ne sent pas forcément en charge de l’avenir du groupe, en tout cas pas à n’importe quel prix… et que le second, si la question se posait vraiment lui, pourrait se trouver devant les mêmes difficultés … à supposer qu’il en ait les moyens financiers …
Les risques juridiques (inconstitutionnalité) et politiques majeurs pourraient faire douter les créancier de franchir le pas et procéder à cette conversion tant ils pourraient douter de l’indéfectibilité de l’engagement pris. Et d’ailleurs pourquoi faire ce saut maintenant alors que de facto avec le plan de 750 milliards d’euros ils sont garantis à 100 % pour les encours actuels et que de surcroît les inquiétudes présentes leur permettent d’exiger des primes de risques très élevées, d’alimenter de fructueux arbitrages sur le marché des CDS, alors que ces Etats ne feront pas défaut – à l’exception éventuelle du cas très particulier de la Grèce- mais qui ne pèse pratiquement pas dans la dette globale de la zone euro. On peut même penser que la prime de risque pour 100 % des financements nouveaux resterait forte même avec 60 % garantis dans la mesure où le risque marginal sur les 40% additionnels (« honorée que si les réformes marchent ») n’est pas réellement maitrisé et qu’une signature s’apprécie dans sa globalité et éventuellement celle de ses garants.
Certes, ces Etats de la périphérie – à géométrie très variable - pourront traîner 10 ans et plus avant d’absorber réellement les effets de la crise, à l’instar du Japon. Ils essaieront ainsi de réduire très progressivement leur insuffisante compétitivité en reconduisant politiques de rigueur sur politiques de rigueur,mais les dettes seront honorées ; les efforts seront pour l’essentiel portés par les services publics et les ménages des différents pays concernés. Car il faut croire en effet que l’euro, comme la femme de César, ne peut pas rester la monnaie du cœur de la zone sans être insoupçonnable. Les marchés peuvent donc, me semble t-il, continuer à jouer leur jeu actuel pendant de nombreuses années.
Les observations et questions énoncées ci-dessus le sont sans doute par manque de compétence et d’informations complémentaires, sans doute de mon fait.
Elles ne visent aucunement à dénigrer l’idée forte que comporte cette proposition et que je partage, à savoir « faire participer les investisseurs privés au financement et aux risques des réformes ». Comme l’auteur, j’aimerais pouvoir dire que « c’est je crois beaucoup mieux que les plans de rigueur d’aujourd’hui - aveugles et sans espérance ».
Peut-être voudra t-il nous en dire davantage ? Peut-être que d'autres analyses de lecteurs pourraient venir compléter ces questionnements ou au contraire aider à nourrir la proposition de Jacques Delpla.
Liens externes:
Jacques Delpla "Europe : échange dette "bleue" et
dettes "rouges" contre réformes" / Blog LesEchosnoclastes